Illusions perdues, « l’œuvre capitale dans l’œuvre »

Dominique Massonnaud

Honoré de Balzac, Illusions perdues, éd. par Roland Chollet, La Comédie humaine, t. v, dir. par P.-G. Castex, Bibliothèque de la Pléiade 32 (Paris : Gallimard, 1977).1

Inaugurer cette série de lectures des romans balzaciens est un honneur et un grand plaisir. Elle se propose d’offrir « une vue panoptique sur l’ensemble des constituants »2 du grand œuvre balzacien en étant attentive aux effets de texte, propres à l’économie de chacun, et révélateurs de l’agencement de l’œuvre-monde qu’est La Comédie humaine. Dans cette perspective, le choix d’Illusions perdues s’est imposé : ce roman manifeste, à divers titres et à un haut degré, un principe de « porosité généralisée »3 caractéristique de l’écriture balzacienne. Plus encore, l’auteur, lui-même, le désigne comme « l’œuvre capitale dans l’œuvre », dans une lettre à Madame Hanska du 2 mars 18434.

De fait, le texte, alors qu’il est placé au tome viii de l’édition Furne de La Comédie humaine en cette année 1843, a été construit par ajouts successifs et fusion d’éléments initialement séparés, écrits dès 1835 : l’année du Père Goriot et de cette systématisation des « personnages revenants », qui est un facteur de l’unité d’ensemble. Il s’inscrit ainsi dans une période très productive, analysée par Nicole Mozet comme « temps de l’accélération »5 en direction de La Comédie humaine. Sur le plan de la poétique narrative, « les structures reparaissantes »6, qui renforcent l’unité du grand ensemble au sein de chaque roman, sont particulièrement présentes. On peut relever les jeux de polarité, qui créent une dynamique fondée sur un principe de binarité ou d’opposition7 – principe souvent mis en évidence par la critique comme un élément structurant le roman balzacien – qui sont ici remarquables : qu’il s’agisse des pôles que sont la Province et Paris ou l’hôtel de la rue du Minage et l’hôtel garni du Gaillard-Bois, qu’il s’agisse des scènes en miroir – comme la soirée à Angoulême et la soirée à l’Opéra – ou les personnages de David et de Lucien, ces pôles aimantent et relancent la construction de la tension narrative et la dynamique de l’intrigue. De plus, Illusions perdues met en scène des personnages qui sont emblématiques de l’univers balzacien : le roman fonctionne ainsi comme une remarquable chambre d’échos. Il est un carrefour qui permet de construire un large réseau liant entre elles les fictions selon l’« idée de génie de Balzac »8 : son usage singulier des « personnages reparaissants » qui permet d’instaurer une porosité généralisée, entre les fictions comme entre les parties qui structurent le grand ensemble. Illusions perdues propose en effet un jeu d’interférences textuelles et d’interactions narratives particulièrement riche. On retrouve une grande densité de personnages qui sont ailleurs silhouettes, figures d’arrière-plan ou héros principaux : Rastignac, Lousteau, Blondet, du Marsay, la Marquise d’Espard, Camusot, Cerizet, les frères Cointet, Matifat, Chaboiseau ou Barbet mais aussi Raoul Nathan et Fanny Beaupré... ou bien encore Daniel d’Arthez qui présente à Lucien un des personnages reparaissants les plus fréquents dans La Comédie humaine : Horace Bianchon. Ce dernier est alors interne à l’Hôtel-Dieu ; il soigne Rubempré après son duel avec Michel Chrestien, comme il soigne en vain Coralie. Cette composante fait du roman un espace qui ouvre les plans et des perspectives, il est donc central en ce qu’il permet l’accroissement des combinaisons. Illusions perdues accueille également – de façon tardive dans la genèse du texte9 – un revenant capital de La Comédie humaine : Carlos Herrera, ce « Chanoine espagnol », avatar de Vautrin, qui déroute Lucien d’une fin qui semblait préparée depuis le début du roman. Sa fonction de diabolus ex machina, qui sauve la vie de Lucien alors qu’on entre dans une séquence de résolution de l’intrigue, détourne le sens du texte pour lui assurer un improbable dénouement heureux : le roman d’apprentissage ironique s’achève ainsi comme une comédie à fin heureuse10. Pourtant, une transformation du personnage a bien lieu : au terme de la séquence de discours suivi11 entre Carlos Herrera et Lucien, le « poète » n’est plus. Lucien, en marche sur la route de Paris, est ainsi défini par Petit-Claud : « ce n’est pas un poète ce garçon-là, c’est un roman continuel » (IP, 717). Illusions perdues est à ce titre un roman de la surprise et de l’audace narratives, qui ne cesse de jouer des possibles de la fiction en usant du romanesque tout en déplaçant les codes du roman, dans une remarquable énergie créative. Il s’agira donc d’explorer dans la lecture proposée ici quelques aspects de ce qui fait d’Illusions perdues ce texte cardinal, un roman-carrefour singulier et révélateur des voies de la création balzacienne.

Pour ce faire, la première étape de l’approche ressaisit les éléments qui relèvent de l’histoire du texte définitif, appréhendés selon les lignes qui émergent de cette élaboration exemplaire. En effet, Illusions perdues porte, dès sa genèse12, la trace de ce que l’on peut appeler la méthode balzacienne, aussi désordonnée qu’elle semble être. Des lignes de permanence et des formes de constance significatives se font jour, malgré les expansions et déplacements textuels majeurs.

Deux constantes originales apparaissent d’emblée dans l’entrelacs des modifications successives : la première est le rôle fonctionnel de ce texte dans l’économie d’ensemble de La Comédie humaine. Considérée par Balzac comme un « anneau »13, cette fiction garde en effet une place identique dans les ensembles éditoriaux successifs qui l’accueillent : Illusions perdues, dans sa courte forme initiale, est une charnière entre les « Scènes de la vie de province » et les « Scènes de la vie parisienne » pour les Études de mœurs au xixe siècle. Dans l’ultime agencement de La Comédie humaine qu’est l’édition Furne corrigée, le texte, considérablement augmenté, se situera au même endroit. Cette constance du rôle de suture ou de transition dévolu au texte désigné sous le titre Illusions perdues – quelles que soient ses expansions et variations continuées – est remarquable. Il diffère ainsi des nombreux romans migrants qui connaîtront des déplacements significatifs, au fil des productions éditoriales agencées par Balzac : dès 1905, André le Breton signalait la récurrence du passage des textes d’une série constituée à une autre14, le travail de Stéphane Vachon permet de saisir dans son détail cette « gestion balzacienne du classement »15 et les déplacements successifs, en particulier dans la période 1841–1844. On observe par exemple encore des migrations entre le Furne édité et le Furne corrigé par Balzac, qui, en 1847 « fait passer de la vie parisienne à la vie privée cinq scènes : Le Père Goriot, Le Colonel Chabert, Pierre Grassou, La Messe de l’Athée et L’Interdiction »16, comme le rappelle Roger Pierrot. Illusions perdues, parce qu’il conserve ce statut de point fixe, est un roman singulier puisqu’il reste ainsi un échangeur, qui permet le passage d’un ensemble à un autre : il s’agit de la dernière fiction des « Scènes de la vie de province », avant que ne commencent les « Scènes de la vie parisienne ».

Les dernières phrases du roman sont éclairantes à cet égard. On lit, à propos du personnage de Cérizet :

Il chercha sur la scène de province une existence nouvelle que son talent d’acteur pouvait rendre brillante. Une jeune première le força d’aller à Paris y demander à la science des ressources contre l’amour, et il essaya d’y monnayer la faveur du parti libéral. (IP, 732)

Sur le plan narratif, le raccourci, dans ce récit au passé simple, permet de mettre en relief « Paris » comme territoire privilégié pour les histoires d’amour et les jeux de pouvoir politique. La mention des « talents d’acteur » du personnage et la caractérisation de la province comme « scène » renvoient au titre de l’ensemble dans lequel le roman prend place. Ce qui relève d’un effet de bouclage en faisant résonner pour le lecteur attentif les ambitions de l’auteur, telle qu’il les affiche dans l’« Avant-propos » de La Comédie humaine. L’ultime énoncé renforce l’effet, dans un discours auctorial à fonction métatextuelle, qui constitue très explicitement un seuil et ouvre l’horizon du texte : « Quant à Lucien, son retour à Paris est du domaine des Scènes de la vie parisienne » (IP, 732). Illusions perdues a donc un rôle de liant, eu égard à la création continuée qu’est la production balzacienne. Cependant l’originalité de l’œuvre-monde qui se constitue se manifeste par le fait que la composition ne relève pas pour autant de la continuité, qu’elle soit de l’ordre de la « suite à demain », de la « série romanesque » ou du fil chronologique. Le retour des personnages s’effectue selon la loi du « hasard »17 conformément aux propos balzaciens réitérés. Ainsi, la « préface » d’Une Fille d’Ève, dès 1839, annonçait une ambition d’ensemble fondée sur l’accueil d’« un désordre qui est source de beautés » et qui rompt ainsi avec la traditionnelle cohérence linéaire et vectorisée de la mise en intrigue. De fait, le lecteur est averti : « Vous trouverez, par exemple, l’actrice Florine peinte au milieu de sa vie dans Une Fille d’Ève, et vous la verrez à son début dans Illusions perdues […] Vous ne pouvez raconter chronologiquement que l’histoire du temps passé, système inapplicable à un présent qui marche »18. Dans l’entrelacs narratif et discursif qu’est La Comédie humaine, assumant le récit d’histoires données aux lecteurs par morceaux discontinus et souvent sans ordre chronologique, le « retour de Lucien » ne se rencontre pas dans la première « Scène de la vie parisienne », comme on le sait : il prend place dans Splendeurs et Misères des courtisanes, alors que le lecteur de l’œuvre entière doit passer par L’Histoire des treize, César Birotteau, et La Maison Nucingen, – selon le plan choisi pour le Furne corrigé – avant de voir réapparaître Lucien comme « héros » de roman. Le texte d’Illusions perdues fonctionne donc à ce titre comme un échangeur entre des sections mais n’infléchit pas pour autant cette singulière organisation interne de l’ensemble qui me semble une des marques majeures de la modernité balzacienne.

L’autre point fixe auquel je souhaite m’attacher dans cette approche du texte, est son titre. Dans son édition, Roland Chollet rappelle que ce titre « Illusions perdues » est mentionné dès l’automne 1833 dans un projet19 de « Scènes de la vie de province » en quatre volumes, destiné à l’objet éditorial que sont les Études de mœurs au xixe siècle, achetées par Mme Béchet le 20 octobre 183320. Ce texte bref relève du format de ce qu’on nomme indistinctement « nouvelle » ou « conte » dans les années 1830 : une quarantaine de pages, finalement fournies à la veuve Béchet en 1836, d’emblée marquées par un jeu de binarité entre la Province et Paris. À partir d’un projet réduit dans son format initial, l’expansion fictionnelle et la transformation du texte premier, inséré dans un autre support éditorial, conduisent quelques années plus tard au roman que l’on lit aujourd’hui, dans son ultime version. On connaît de nombreux autres cas de ce type. Ainsi  « La Transaction » nouvelle parue dans L’Artiste en quatre livraisons au début de l’année 183221, constitue un état premier du Colonel Chabert (1844). Alors que La Comédie humaine paraît depuis cinq ans, on retrouve toujours ce principe de création continuée dans le geste scriptural qui, en 1846, voit la nouvelle « Le Vieux musicien »22 s’étendre jusqu’à devenir le dernier roman achevé par Balzac : Le Cousin Pons (1847). Cependant, dans le cas d’Illusions perdues, si le jeu de l’expansion textuelle fonctionne également selon un principe récurrent d’ajouts successifs, de montage et de réemplois d’autres textes – tout aussi fréquent chez Balzac – le titre demeure bien identique. On peut observer que ce titre n’est pas constitué du nom propre d’un personnage, à la différence de nombreux autres ; il ne relève pas non plus d’une caractérisation renvoyant à un personnage typisé selon la pratique des physiologies (La Femme de trente ans, Le Médecin de campagne) : ni individu singularisé par le nom propre, ni type annoncé en ce cas mais un thème – la perte des illusions – devenu motif, qui ouvre la voie à des fictions qui vont exemplifier le sujet de manière variée, pour se condenser dans le volume définitif.

L’examen du montage permet ici de mettre en évidence un principe d’écriture en éclairant la composition affichée du texte définitif. En effet, la nouvelle de quarante pages, s’étage pour devenir, à terme, selon le Furne corrigé, un roman qui comporte trois parties : « Les Deux Poètes », « Un grand Homme de province à Paris », « Les Souffrances de l’inventeur ». Certes, on reconnaît ce perpétuel mouvement d’expansion et de création continuée qui fait la spécificité de la production balzacienne : les corrections sur épreuves qui sont autant d’allongeailles, les prolongements et rebonds d’intrigues, les « réserves narratives » mises en évidence par Jeannine Guichardet23, utilisées – ou non – plus tard. Illusions perdues manifeste, ici encore, sa dimension « capitale », en se faisant carrefour et lieu d’entrecroisement de créations et de projets mêlés. Trois romans courts préalablement édités finissent par n’en faire qu’un seul : Illusions perdues paru en 1837 chez Werdet, Un grand Homme de Province à Paris, édité par Souverain en 1839, David Séchard ou Les Souffrance de l’inventeur qui a paru en feuilleton dans L’État puis Le Parisien en juin–août 1843 puis en volume en novembre 1843 chez Dumont. Alors que, sous le titre « Ève et David » ce dernier pan fictionnel formait la troisième partie d’Illusions perdues en 1843, dans le tome viii de La Comédie humaine chez Furne.

Ces trois romans réunis pourraient correspondre aux trois parties du roman définitif, si l’on en restait à l’« effet Comédie humaine »24 statufiant le grand œuvre, en saisissant le tout comme aboutissement et simple fusion des parties antérieures, oubliées au profit du résultat final. Pourtant, la production balzacienne relève d’un travail d’écriture plus complexe que la simple addition. Si l’on observe par exemple les points stratégiques que sont les débuts et les commencements textuels, le procédé d’insertion des romans initiaux, devenus parties du grand ensemble, relève d’un geste de greffe. De fait, la première partie d’Illusions perdues ne s’achève pas où venait se clore le premier roman qui portait ce titre, mais plus tôt. Les séquences narratives finales du roman de 1837 viennent glisser au début de la seconde partie pour La Comédie humaine : cette « fatale semaine » (IP, 290) qui voit l’installation de Mme de Bargeton dans un appartement rue Neuve-du-Luxembourg, la soirée à l’Opéra et l’installation de Lucien, définitivement congédié, dans la pauvre rue de Cluny, conduit à l’énoncé : « il était seul à Paris, sans amis, sans protecteurs » (IP, 291). La fin d’un roman antérieur devient donc l’amorce de la partie suivante, dans un jeu de rebond narratif, qui use des pages finales pour en faire le commencement d’une autre séquence. La suture s’opère ensuite de façon très simple et l’ajout demeure invisible aux yeux du lecteur : le premier roman finissait après une ultime lettre de Lucien à Mme de Bargeton qui disait sa colère, et l’énoncé précédemment cité : « il était seul à Paris ». Ce passage déplacé au début de la seconde partie fait place à une seconde lettre de Lucien, directement annoncée par une tournure présentative : « Voici ce que, quelques jours après, Lucien écrivait à sa sœur » (IP, 291). Le courrier à Ève est donné – comme celui adressé à Mme de Bargeton – pour un document copié par un auteur sténographe : la similitude du moyen narratif permet d’assurer la cohérence textuelle. De la même manière, les dernières pages d’Un Grand Homme de province à Paris deviennent les premières des « Souffrances de l’inventeur » : le départ de Lucien pour la province, « revoyant par la pensée les bords de la Charente » (IP, 551) après la mort de Coralie et les deux mois d’ « accablement maladif » (IP, 550) qui la suivent, s’accomplit dans une séquence narrative rapide, de la rue d’Enfer, à Longjumeau, Tours, Poitiers, puis Mansle. Lucien y rencontre sur la route « le nouveau préfet de la Charente, Le Comte Sixte du Châtelet et sa femme, Louise de Nègrepelisse » (IP, 552). Sans surprise, ce qui constituait un dénouement fort ironique à l’histoire de Lucien et Mme de Bargeton, dans le second roman est donné ici, en commencement de la troisième partie d’Illusions perdues, ce qui change le statut de l’énoncé. L’ironie demeure, mais il s’agit moins d’un dénouement d’intrigue, centré sur le destin singulier d’un personnage, que d’une mention prise dans la continuité des heurts et malheurs qui parcourent la vie sociale toute entière. Le sommeil de Lucien, réfugié chez un meunier, – qui vient de se demander « Peut-être finirais-je garçon-meunier ? » (IP, 553) avant de s’endormir – n’est plus le terme du roman de 1839, mais la veille d’une nouvelle journée. Une question de la meunière à son mari suffit à relancer la troisième partie d’Illusions perdues en engendrant une autre séquence narrative ajoutée à cette greffe venue de la fin du roman précédent. Un énoncé du même personnage assure cette relance : « Va donc voir si ce jeune homme est mort ou vivant, voici quatorze heures qu’il est couché » (IP, 554). Ce qui permet d’ouvrir une série de discours directs, échangés entre les personnages disponibles, de manière particulièrement simple et fluide. L’agencement du roman ne relève donc pas du simple collage ou de la « juxtaposition » des textes antérieurs.

Les éléments issus de la genèse des textes permettent également d’observer un principe d’étoilement qui justifie, d’une autre manière, le terme d’« échangeur » qui peut permettre de caractériser Illusions perdues. Les successives histoires ne sont pas inventées « linéairement » par leur auteur mais dans un entrelacs d’inspiration. Ainsi, dès 1838, (donc entre les deux romans initiaux de 1837 et 1839) Balzac écrit La Torpille, autre nouvelle parue chez Werdet en septembre 1838, qui met en scène le « petit apothicaire dont [Mme du Châtelet] s’était amourachée », Lucien Chardon, qui ose revendiquer le nom de Lucien de Rubempré, accordé « par une ordonnance du roi »25. Louise n’est déjà plus Bargeton, Rastignac reconnaît sous son masque le Vautrin du Père Goriot et le texte fait place au personnage d’Esther, à son amour pour Lucien, au rôle de ce « terrible prêtre », Carlos Herrera, aux « yeux de basilic »26. On voit donc que le désordre logique traverse également le processus de mise en intrigue puisque cette nouvelle, écrite alors que la toute première partie du roman est à peine achevée, sera complétée d’un peu plus de deux chapitres pour devenir ensuite la première des quatre parties de Splendeurs et Misères des courtisanes en 1844. Le rebond en direction d’une autre « scène de la vie parisienne » s’accomplit ainsi, à distance de la fable première, alors que manquent entre ces deux moments les chaînons logiques et narratifs. Dans cette écriture vagabonde, on assiste donc à un phénomène d’invention concurrente qui ouvre la possibilité de tisser ensuite des fils narratifs qui permettront de relier ces îlots fictionnels. Dans la genèse balzacienne, Illusions perdues a donc, dès l’origine, un caractère éminemment productif : des scènes essaiment à partir de quelques pages initiales dont toute l’amplitude potentielle n’a pas encore été atteinte. Il s’agit bien d’un point nodal qui permet le développement de la production textuelle, d’une manière tout à fait désordonnée eu égard aux schèmes traditionnels. L’originalité du roman est aussi qu’il permet d’inscrire dans la fiction des discours sur les fictions, leur création, leurs conditions de vente et de réception parce qu’il est, on le sait, celui des milieux de l’imprimerie, du journalisme et de la « librairie » contemporains de Balzac. Le discours de Daniel d’Arthez à Lucien affirme ainsi la nécessité de « [se]créer une manière différente » (IP, 312), la singularité de la manière devient un critère de valorisation d’une production artistique dans un régime « moderne » d’octroi de valeur qui se met en place27  ; le moyen en est une poétique neuve : « Entrez tout d’abord dans l’action ; prenez votre sujet tantôt en travers, tantôt par la queue, enfin variez vos plans pour n’être jamais le même » (IP, 313). Ainsi, dans la manière balzacienne elle-même, une logique d’un nouveau type apparaît : à partir des « cas » que constituent tel ou tel personnage, tel ou tel motif, telle ou telle situation, l’organisation apparaît a posteriori, sans plan rigoureusement préétabli. L’« idée d’œuvre » ne comporte jamais une vue claire de la fin quand l’auteur en est aux commencements : l’ordre compositionnel et l’hégémonie de la dispositio classique disparaissent. La méthode à l’œuvre dans la constitution de La Comédie humaine paraît alors relever d’une « évolution créatrice » au sens bergsonien du terme : « le tout, celui du monde comme du vivant est toujours en train de se faire, de se produire ou de progresser »28.

Dans cette proposition de lecture d’Illusions perdues, il s’agit à présent d’observer et de préciser ce mouvement de circulation qui anime le texte balzacien à partir de quelques exemples. En effet, l’espace du roman se fait également « carrefour » en ce qu’il reprend, intègre et transforme dans son économie propre des formes narratives et discursives variées, qui s’inscrivent dans un contexte historique daté.

Dans l’espace de ce travail, je n’aborderai – rapidement – qu’un exemple, particulièrement significatif : le portrait initial du père Séchard, au début du roman. Il semble venu d’une pratique scripturale balzacienne fréquente dans les années trente, en portant trace du genre que sont les Physiologies29 : le père de David est d’emblée donné comme un type, caractéristique des mœurs du siècle, à la manière du Ministre30, de l’Épicier31 ou de la « Femme de province »32. Les caractérisations qui lui sont associées en font un « cas » valant pour une série d’individus, emblématique d’une espèce d’hommes et preuve de la validité des lois morales et sociales. Surtout, le portrait physique qui en est donné relève d’un art du trait forcé qui procède d’une transposition verbale de l’art de la caricature : « Son nez avait pris le développement et la forme d’un A majuscule corps de triple canon » (IP, 127). La transposition langagière de la simplification graphique propre au dessin de presse caricatural a ici le relief fort savoureux d’une réduction de la forme du nez à celle d’une lettre – A – dont les caractéristiques techniques sont donnés en termes spécialisés d’imprimerie33. Le lecteur peut ainsi observer le graphème « A » dans sa matérialité visuelle. Le portrait use également de la réduction des détails en une seule image significative : « vous eussiez dit d’une truffe monstrueuse enveloppée par les pampres de l’automne » (IP, 127). Cependant, la scène balzacienne n’est pas un espace monologique ou monolithique. Lorsqu’y apparaît Séchard, vigoureusement saisi dans cette physionomie de vieil ivrogne – dans un jeu humoristique avec son patronyme – d’autres composantes le complexifient : il est aussi un avare, un homme rusé, manipulateur, sans pitié en affaires. Il porte « le fameux tricorne municipal, qui dans quelques provinces se trouve encore sur la tête du tambour de la ville » (IP, 127), ce qui lui donne un caractère archaïque, démodé. Son costume « où l’ouvrier se retrouvait encore sous le bourgeois » (IP, 128) rend également plus incertain le classement dans un « type » unique ou son appartenance de classe… Ainsi, le personnage caricatural, comique, présenté dans la séquence d’ouverture, ne reste pas simple et univoque mais s’enrichit aussitôt d’une complexité psychique et sociale voire d’indices plus inquiétants. L’usage d’une forme d’écriture datée, journalistique, pratiquée par l’homme-Balzac dans les journaux illustrés comme La Caricature, est un aspect du portrait du personnage de Séchard qui ancre l’écriture romanesque dans l’histoire du présent, en ayant recours à une forme d’époque, familière au lecteur. Le dessin qui représente le père Séchard au seuil du tome viii de l’édition Furne illustrée en 1843 renforce cet effet. Cependant, on a rapidement vu que ce portrait du personnage, ainsi rendu accessible et plaisant au moment de la captatio benevolentiae, est aussi d’emblée transformé et complexifié : afin d’ouvrir des voies narratives plurielles dans l’espace fictionnel.

Les fictions balzaciennes se font ainsi le lieu d’accueil et de transformation de nombreux discours, qu’il s’agisse de constats, d’idées à la mode – le débat entre Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire, les considérations sur « l’état actuel de la librairie »34 par exemple – ou de formes héritées et transformées : les physiologies, on l’a vu, ou les généalogies, par exemple, venues des mémoires d’Ancien régime, qui permettent de présenter des acteurs contemporains, et de les inscrire dans une lignée plus ou moins dérisoire. Cette capacité d’accueil et de transformation donnée au roman paraît au cœur de la poétique balzacienne et de sa singularité. À cet égard, Illusions perdues constitue également un exemple majeur.

Le phénomène est sensible dès l’ouverture du roman. La phrase initiale (« À l’époque où commence cette histoire, la presse de Stanhope et les rouleaux à distribuer l’encre ne fonctionnaient pas encore dans les petites imprimeries de province » (IP, 123) relève d’un geste balzacien récurrent : faire en sorte que, d’emblée, l’« histoire » – l’anecdote ou la fable – qui va être racontée soit placée dans un monde de référence donné comme un monde partagé entre l’énonciateur et le lecteur. Ici, l’emploi du déterminant démonstratif et celui du présent35 permettent qu’« explicitement l’énoncé initial [soit] rattaché à son énonciation »36. Ainsi que l’ont montré Jean-Daniel Gollut et Joël Zufferey, pour La Comédie humaine dans son entier, le début d’Illusions perdues relève de cette « stratégie balzacienne [qui] se caractérise par une nette tendance à placer l’univers romanesque dans la continuité du monde historique et à le mêler aux domaines d’expérience jusqu’à le confondre avec eux »37. La voix ainsi discursivement mise en scène affiche une compétence d’ordre informatif et documentaire, en donnant des éléments qui relèvent de la connaissance technique du domaine de l’imprimerie. Cette situation pragmatique permet donc d’emblée d’inscrire le texte comme un point de passage : entre un réel connu (relevant d’un monde partagé par un locuteur réel et le lecteur) et le monde fictionnel qui va être mis en place. La fiction devient un exemple, un cas, qui semble éclairer le monde réel et permet de le penser.

Les intrusions auctoriales caractéristiques du texte balzacien constituent ensuite autant de remontées de ce discours qui vient déchirer le voile ou la toile de la fiction, pour situer le lecteur sur le point de contact entre monde inventé et monde réel. Ainsi, après la phrase d’ouverture, le récit installe l’univers fictionnel ; des acteurs ont fait leur entrée sur la scène angoumoise – le père Séchard, David son fils, les frères Cointet, fabricants de papier – mais à la quatrième page, l’espace représenté est très visiblement mis à distance, dans une exhibition de la voix auctoriale : « Ici peut-être est-il nécessaire de dire un mot sur l’établissement » (IP, 128). Des énoncés au présent de vérité générale avaient déjà accompagné le déroulement du récit, pour apporter des éléments d’information qui explicitent les dessous de la création fictionnelle. Tel est le cas pour le réseau d’analogies à l’œuvre dans la construction du personnage du vieux Séchard : « Ce Séchard était un ancien compagnon pressier que, dans leur argot typographique, les ouvriers […] appellent un ours » (IP, 124). La comparaison animale récurrente dans les caractérisations balzaciennes est ici motivée et exhibée, comme l’est le jeu onomastique sur le nom propre qui désigne un ivrogne : « Jérôme-Nicolas Séchard, fidèle à la destinée que son nom lui avait faite, était doué d’une soif inextinguible » (IP, 127). De plus, ce trait de Séchard est rapporté aux situations qui appartiennent au monde réel, dont il est un exemple par des énoncés à valeur de maxime : « les habitudes du jeune âge reviennent avec force dans la vieillesse de l’homme » ou « l’ivrognerie comme l’étude, engraisse encore l’homme gras et maigrit l’homme maigre » (IP, 127). À cet usage d’énoncés relevant du discours auctorial s’ajoutent également les références qui assurent sur le plan pragmatique le contact avec le lecteur en convoquant sa mémoire et sa faculté de comparaison, ou en utilisant la référence intertextuelle explicite comme un argument d’autorité grâce à un jeu d’analogies avec des situations ou des textes antérieurs : « M. de Chateaubriand l’a remarqué chez les véritables ours d’Amérique » (IP, 127), « Sa tête […] rappelait à l’imagination les Cordeliers des Contes de La Fontaine » (IP, 127). La voix narrative, dans ce dernier énoncé à l’imparfait, assure une fonction d’échangeur entre le monde fictionnel qui s’installe et le monde réel où l’on peut lire La Fontaine. Cette présence du discours auctorial révèle, me semble-t-il, une poétique romanesque singulière qui n’est pas ignorante du modèle anglais que constitue le novel ou de Jacques le fataliste. La posture, assignée au lecteur par la situation pragmatique ainsi créée, n’est pas celle d’un plongeur en immersion prolongée dans un monde romanesque, puisque régulièrement, les remontées discursives le placent au seuil de la fiction, à la limite de la scène où se développe la fable. Dans le cas de Balzac, ces procédés montrent alors d’autres aspects qui relèvent de la « porosité généralisée » qui caractérise l’œuvre : la fiction est une scène saisie par son lecteur au seuil d’une représentation fondée sur une forme de « distanciation ». De plus, la présence de ces énoncés relevant d’interventions auctoriales est un facteur de cohésion et de cohérence textuelles puisqu’elle renvoie au cadre énonciatif fixé dans l’« Avant-propos » lorsqu’on considère La Comédie humaine comme UN texte, saisi dans son entier. Cette voix discursive qui s’affirme comme celle d’un « historien des mœurs » situe ainsi dans une énonciation première tous les textes factuels et fictionnels qui vont suivre. L’entendre de nouveau, dans une fiction comme Illusions perdues, permet de commencer l’entreprise analytique au sein même des récits inventés – romans, nouvelles ou contes – afin de rendre effectif le projet placé au seuil de l’ensemble : écrire l’Histoire du présent dans une entreprise où le texte se fait outil de compréhension visant la connaissance du réel contemporain.

Au terme de ces propositions et éléments de lecture d’Illusions perdues, qui ont tenté d’aborder quelques points significatifs – malgré l’intimidante qualité des travaux multiples d’éminents balzaciens sur ce roman ! – il s’agit peut-être de proposer une ultime perspective. Roman capital, on l’a vu, ce roman-échangeur qui donne à voir l’efficacité du principe de « porosité généralisée » transformant les rapports de la partie et du tout dans l’œuvre-monde qu’est La Comédie humaine, Illusions perdues est aussi un roman majeur parce qu’il est lisible comme un roman, cohérent et clos.

À ce titre, s’il s’agit de tenter d’apporter un élément de supplément, on peut constater, comme le fait Joëlle Gleize dans sa présentation du texte, que les lectures successives se sont souvent attachées à la partie centrale du roman. En ce cas, « l’épisode parisien garde le rôle directeur »38. Illusions perdues est alors le roman de la littérature devenant marchandise comme le montrait Lukacs, il révèle l’effondrement d’une aristocratie : où un aristocrate déchu devient prote pour vivre et, plus largement, il enregistre les mutations de la vie parisienne. Il fonctionne alors « comme un miroir concentrique de La Comédie humaine »39, en faisant résonner la difficulté d’être auteur dans un monde contemporain en mouvement. Illusions perdues reste alors, essentiellement et « centralement », le roman de Lucien. Il est un roman d’initiation – ou de construction – original en ce qu’il inscrit d’emblée, par son titre comme par l’agencement des péripéties, une fin négative, voire tragique, du héros40. On a vu que le fait que Lucien échappe au suicide, au terme du roman, relève d’un saut narratif hors de la logique initiale, qui se conçoit dans l’économie de l’ensemble textuel qu’est La Comédie humaine et que la genèse des textes – l’écriture de La Torpille en particulier – justifie. Pourtant, Illusions perdues est aussi le roman de David. Je proposerai donc, en guise de fin ouverte à ce travail, quelques éléments liés à cette « lecture ».

S’il s’agit d’observer, encore une fois, la genèse des textes, on mentionnera que Balzac a le projet précoce d’un texte sur Bernard Palissy et se documente à cet effet41 ; il le désigne sous le titre Les Souffrances de l’inventeur, dans la perspective d’une mise en scène du personnage historique. Lorsque la troisième partie du roman apparaît – et tout d’abord sous la forme du roman David Séchard – le glissement s’opère : celui qui invente la création du papier à partir de végétaux porte à présent le projet initial de nouvelle historique. L’intitulé « Les Souffrances de l’inventeur », devenu, à terme, le titre de la dernière partie d’Illusions perdues, relève ainsi de ce matériau repris, transformé, qui nourrit l’écriture du roman. Ce réemploi n’en est pas le seul indice, et le déplacement du projet, dans ses implications, alimente l’écriture romanesque plus en profondeur. En effet, ce roman-creuset porte aussi la trace de la quête documentaire balzacienne sur Bernard Palissy dans le détail de sa rédaction. Par exemple, un discours direct de David porte trace de la proximité géographique entre Saintes et Angoulême pour installer le parallèle entre les deux inventeurs :

À deux pas d’ici, à Saintes, au seizième siècle un des plus grands hommes de la France […] Bernard de Palissy souffrait la passion des chercheurs de secrets […] Il errait dans la campagne, incompris !... Pourchassé, montré au doigt !... (IP, 604)

Plus encore, la construction de la figure de David et son itinéraire semblent mus par la transformation du « projet Palissy » : à la différence de l’inventeur de la technique d’émaillage de la céramique, David Séchard est un inventeur qui renonce. Palissy devient ainsi un personnage d’arrière-plan que la genèse des textes peut permettre de considérer comme un contrepoint aidant – selon la loi de binarité et le principe d’opposition – à la construction d’un autre héros important du roman balzacien : celui dont le roman d’apprentissage connaîtrait réellement une « fin heureuse ». Les séquences d’ouverture et de clôture du texte permettent d’argumenter en ce sens : les Séchard occupent le commencement du roman, et à son terme, le destin de David est fixé :

David Séchard, aimé par sa femme, père de deux fils et d’une fille, a eu le bon goût de ne jamais parler de ses tentatives. Ève a eu l’esprit de le faire renoncer à la terrible vocation des inventeurs. (IP, 732)

Ce dénouement est une forme d’accomplissement : David échappe ainsi au terrible « règne de l’idée » qui hante Frenhofer ou Van Claes. La place fixe du roman au sein des « Scènes de la vie de province » peut ainsi se comprendre. De fait, la valorisation du devenir du personnage est sensible dans la suite des éléments qui lui sont associés : 

Il mène la vie heureuse des rêveurs et des collectionneurs ; il s’adonne à l’entomologie et recherche les transformations jusqu’à présent si secrètes des insectes que la science ne connaît que dans son dernier état. (IP, 732)

On voit que le bonheur domestique ou le fait d’être « un propriétaire qui [fait] valoir » (IP, 732) ne procède pas d’une réduction ironique du devenir de David, puisqu’il est également construit en figure de savant, dans une formulation qui fait écho aux recherches d’un Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, dans une version fictionnelle – devenue ici apaisée et sereine – des débats scientifiques qui ont agité l’époque récente. Il est aussi celui qui « cultive les lettres par délassement » (IP, 732). Le roman d’initiation de David serait alors celui d’une nécessaire perte des illusions et des ambitions que l’espace provincial rend non seulement possible mais heureuse. Illusions perdues livrerait ainsi, à terme, une sorte d’ultime rêve balzacien.


  1. Les références à cette édition la mentionneront sous forme abrégée en « IP » dans le corps de l’article.

  2. Reto Zöllner et Kai Nonnenmacher, « Lectures de Balzac », Romanische Studien 2 (2015) : 181, http://www.romanischestudien.de/index.php/rst/article/view/37.

  3. Je tente de faire de cette notion une caractéristique qui puisse rendre compte des singularités balzaciennes dans la troisième partie de : Dominique Massonnaud, Faire vrai : Balzac et l’invention de l’œuvre-monde (Genève : Droz, 2014), 271–378.

  4. Ce qui a donné lieu à une série de travaux à perspective plus directement monographique, réunis sous le même titre : Françoise Van Rossum-Guyon, dir., “Illusions perdues”, l’œuvre capitale dans l’œuvre (Groningen : CRIN 18, 1988).

  5. Nicole Mozet, Balzac et le temps (Saint-Cyr sur Loire : Christian Pirot), « Balzac », 176–180.

  6. Voir pour leur étude le travail de Mireille Labouret, Balzac: romanesque et répétition (Paris : Honoré Champion), à paraître.

  7. Jean-Pierre Richard définit ainsi la « figure de l’opposition », « à la fois loi abstraite et motif concret [qui est] structure et thème de toute l’architectonique actancielle balzacienne » dans Corps et décors balzaciens (Paris : Seuil, 1970), 89.

  8. Selon le commentaire de Proust : Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve, préface par Bernard de Fallois (Paris : Gallimard, 1954), 260.

  9. Venue du roman de 1843, paru en feuilleton dans L’État, sous le titre David Séchard ou les souffrances de l’inventeur, la portion de texte qui fait entrer sur la scène du roman Carlos Herrera, constitue quasi simultanément la troisième partie d’Illusions perdues au tome viii de La Comédie humaine chez Furne. Dans cette édition, Le Père Goriot est placé après Illusions perdues, puisque le roman figure dans la section suivante « Scènes de la vie parisienne », après L’Histoire des treize. Le Furne corrigé modifie cet ordre en situant Le Père Goriot dans les « Scènes de la vie privée ».

  10. Pour une proposition de lecture détaillée de cette séquence d’Illusions perdues, on peut se reporter à Dominique Massonnaud, « Balzac et les mésalliances bakhtiniennes : saisies de Vautrin », in Retour à Bakhtine: essais de lectures bakhtiniennes, dir. par Marc Hersant et Chantal Liaroutzos, Textuel 69 (2012): 177–190.

  11. J’utilise la définition fort efficace de Françoise Van Rossum-Guyon : « J’appelle “discours suivi” un discours actorial d’une certaine longueur articulé selon les règles de la rhétorique et adressé par un personnage locuteur bien déterminé à un autre personnage (ou à un groupe) en vue de transmettre un enseignement et, plus généralement, de convaincre » dans Balzac: la Littérature réfléchie. Discours et autoreprésentations, Paragraphes (Montréal, Université de Montréal 2002), 138, note 3. L’analyse de ces discours et de leurs spécificités dans Illusions perdues est faite dans l’ouvrage, p. 140–1.

  12. On se reportera pour les éléments les plus précis sur l’histoire complexe du texte à l’édition de Roland Chollet mentionnée ci-dessus, ainsi qu’à l’article de Stéphane Vachon : « Chronologie de la rédaction et de la publication d’“Illusions perdues” », in Van Rossum-Guyon, “Illusions perdues”, l’œuvre capitale dans l’œuvre, 1–11.

  13. Le terme est utilisé dans l’« Introduction aux ‘Scènes de la vie de province’ » : Balzac, La Comédie humaine, t. iii, 1521.

  14. André Le Breton, Balzac, l’homme et l’œuvre, [1905] (Paris : Boivin, s. d.), rééd. (Bibliolife, 2009), 123–4.

  15. Stéphane Vachon, « La Gestion balzacienne du classement : du catalogue “Delloye” aux “Notes sur le classement et l’achèvement des œuvres” », Le Courrier balzacien 51 (1993): 1–17.

  16. Roger Pierrot, Honoré de Balzac (Paris : Fayard, 1994), 434–5.

  17. On pense à un commentaire auctorial situé à la fin de Ferragus : « Qui n’a pas rencontré sur les boulevards de Paris […] enfin, en quelque lieu du monde ou le hasard veuille le présenter, un être, homme ou femmes, à l’aspect duquel mille pensées confuses naissent en l’esprit ! […] Cette créature s’inféode à votre souvenir et y reste comme un premier volume de roman dont la fin vous échappe ». Balzac, La Comédie humaine, t. v, 900–1.

  18. Dans la Préface à Une Fille d’Ève et Massimila Doni pour l’édition Souverain des deux textes, en 1839. Balzac, La Comédie humaine, t. ii, 262 et 265 pour les deux citations.

  19. Dans Honoré de Balzac, Pensées, Sujets, Fragments, éd. par Jacques Crépet, (Paris : Blaizot, 1910), en ligne : https://archive.org/details/pensessujetsfr00balz, consulté le 2 septembre 2015.

  20. Chollet, « Introduction », IP, 4.

  21. Nouvelle que l’on peut lire dans la remarquable édition de premiers états de publication et textes de presse balzaciens due à Isabelle Tournier : Honoré de Balzac, Nouvelles et Contes, t. I (1820–1832), Quarto (Paris : Gallimard, 2006), 1189–230.

  22. Je simplifie ici les étapes complexes de la genèse du Cousin Pons, fort bien analysées par Anne-Marie Meininger, « Préface », Le Cousin Pons (Paris : Garnier, 1974).

  23. Jeannine Guichardet, « Quelques exemples de suspens balzacien à l’aube de “La Comédie humaine” », L’Année balzacienne (1996) : 167–80, repris dans Jeannine Guichardet, Balzac Mosaïque, Cahiers romantiques (Clermont-Ferrand : Université Blaise Pascal, 2007), 101–12.

  24. Selon l’expression de Nicole Mozet : « L’effet Comédie humaine : Balzac écrivain », Balzac au pluriel, Écrivains (Paris : PUF, 1990), 287–307.

  25. Honoré de Balzac, « La Torpille », Nouvelles et contes, t. ii, éd. par Isabelle Tournier, Quarto (Paris : Gallimard, 2006), 823–68, 826 pour les deux citations.

  26. Balzac, « La Torpille », 868 pour les deux citations.

  27. Voir sur cette question les travaux de Nathalie Heinich, par exemple : L’Elite artiste: excellence et singularité en régime démocratique, Bibliothèque des Sciences humaines (Paris : Gallimard, 2005). Ouvrage qui traite de Balzac pour fonder sa démonstration.

  28. Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe (Paris : Minuit, 1972), 114.

  29. Sur ce genre, voir le travail de Nathalie Preiss : Les Physiologies en France au xixe siècle : études littéraires, stylistiques et historiques (Mont-de-Marsan : Éditions Interuniversitaires, 1999).

  30. Article paru dans le journal La Caricature, sous la signature d’Alfred Coudreux : Honoré de Balzac, Œuvres diverses, t. ii, Bibliothèque de la Pléiade (Paris : Gallimard, 1996), 798–800.

  31. Article paru dans La Silhouette. Balzac, Œuvres diverses, t. ii, 724–8.

  32. Monographie de Balzac dans Les Français peints par eux-mêmes (1839) et illustrée par Gavarni.

  33. Marqueurs d’une compétence auctoriale, et relevant ainsi des nombreux biographèmes présents dans l’écriture d’Illusions perdues.

  34. Je fais référence au titre d’une série d’articles de Balzac parue, en 1830, dans « Le Feuilleton des Journaux politiques », éd. par Roland Chollet et René Guise : Balzac, Œuvres diverses, t. ii, 662–9.

  35. Sur les différentes valeurs du présent dans Illusions perdues, on peut se reporter à l’article d’Éric Bordas : «  Présents et futurs narratifs et métadiscours dans la prose balzacienne », in Illusions perdues, éd. par José-Luis Diaz et André Guyaux, Colloques de la Sorbonne (Paris : Presses de Paris Sorbonne, 2004), 73–89.

  36. Jean-Daniel Gollut et Joël Zufferey, Construire un monde : les phrases initiales de “La Comédie humaine” (Lausanne : Delachaux et Niestlé, 2000), 116.

  37. Gollut et Zufferey, Construire un monde, 106.

  38. Voir la « notice » du roman en ligne, dans l’édition Furne de La Comédie humaine : http://www.v1.paris.fr/commun/v2asp/musees/balzac/furne/notices/illusions_perdues.htm

  39. Selon la formule de Joëlle Gleize dans la « notice » citée ci-dessus.

  40. On peut, par exemple, noter que le terme de la seconde partie d’Illusions perdues, dans le Furne corrigé, crée un effet d’annonce pour un dénouement pathétique à venir : «  [Bérénice] comprit [...] quel était le dessein de ce pauvre poète au désespoir : il voulait se pendre. » IP, 550.

  41. Comme on le voit par exemple dans une lettre à sa mère, le 10 juin 1832 : « Tu chercheras d’abord dans ma grande Biographie universelle l’article Bernard de Palissy […] tu liras cet article, tu prendras note de tous les ouvrages cités… ». Citée par Françoise Sylvos, « Balzac et Bernard Palissy », L’Année balzacienne (2011): 175–98, 185 pour la citation.





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