Le genre, le récit et le corps
Aucun de nous ne reviendra de Charlotte Delbo et L’espèce humaine de Robert Antelme
Silke Segler-Meßner
1. Raconter l’expérience concentrationnaire
Le corpus des textes qui racontent l’expérience concentrationnaire semble former un genre à part qui est caractérisé soit par sa référence à la Shoah, soit par le terme de témoignage par lequel les critiques cherchent à mettre en avant l’authenticité historique de l’énoncé. Les discussions sur le rôle du témoin et sur sa tâche éthique ont contribué à une revalorisation des histoires des rescapés et en même temps ont réduit leur fonction à être les gardiens d’un savoir menacé de disparaître avec leurs auteurs. Cette tendance à attribuer aux témoignages des rescapés un statut d’exception dans le champ littéraire d’après-guerre a favorisé deux phénomènes : d’un côté l’illusion d’une mémoire culturelle unique, d’abord en établissant le mythe de la Résistance, ensuite en mettant la Shoah au centre des discussions,1 de l’autre côté la domination de la perspective masculine dans les travaux sur la représentation des camps et sur les conséquences éthiques. Le nombre d’articles et de monographies qui citent ou analysent l’œuvre de Primo Levi, d’Elie Wiesel, de Robert Antelme ou d’Imre Kertész est légion, tandis que les textes de Charlotte Delbo, d’Edith Bruck ou de Ruth Klüger n’ont pas connu une réception aussi intense. Cette observation ne soulève pas seulement la question de la formation du canon littéraire, mais aussi celle de la valeur du genre dans la transmission (globale) d’une mémoire des camps. Ainsi Philippe Mesnard constate en 2009 un manque d’intérêt pour l’œuvre de Charlotte Delbo en France qui, par contre, est abondamment étudiée aux Etats-Unis et en Angleterre.2 La situation est essentiellement la même dans le domaine de la recherche autour de la relation entre les femmes, le sexe féminin et l’Holocauste, dominée par les publications américaines et anglaises.3
Dans les propos qui suivent nous nous proposons de relire le premier volume de la trilogie d’Auschwitz de Charlotte Delbo dans une perspective du genre (dans le sens de « gender ») visant à analyser l’influence de la conscience d’être femme sur la mise en scène de la voix narrative ainsi que sur la présentation du monde concentrationnaire. Loin des généralisations stéréotypées, telles que la supposition d’une plus grande force morale dans le groupe des détenues féminines ou d’une plus grande solidarité entre les femmes, nous nous intéressons aux procédés narratifs et aux images évoquées par le texte. Comme Aucun de nous ne reviendra a été écrit directement après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le texte fait partie de la littérature des années quarante et cinquante qui, selon Dominique Rabaté, cherche à résoudre sa crise par l’élaboration d’une voix narrative étant à la fois sujet et objet, absence et présence, production et produit.4 Qualifier cette publication comme témoignage dirige l’attention plutôt vers le contenu et vers les faits racontés et néglige l’acte de l’énonciation qui fait entendre un « Je », tantôt dans sa fonction de narrateur-énonciateur, tantôt comme part (physique) de la masse des déportés, féminins ou masculins. Dans un premier temps, il s’agit de faire voir le surgissement de l’instance d’énonciation dans ces textes, s’adressant et à un destinateur qui ne connaît pas le monde des camps et au sujet parlant. Dans la mesure où Charlotte Delbo et Robert Antelme s’obstinent à faire une histoire de leur expérience, il devient impossible d’associer leurs textes à un genre et, par conséquent, la lecture est contaminée par les effets d’une voix qui ne peut plus être située dans un cadre fixe ou un lieu concret. Ce « Je » qui parle appartient à un corps féminin ou masculin qui garde la mémoire traumatique et qui, en se transformant en « nous », fonctionne comme un écran pour la souffrance et la mort des autres. Il reste alors à analyser les liens (secrets) entre voix narrative, corps et genre, non pour rétablir le contexte biographique mais pour questionner ce qu’on peut appeler « l’inconscient du texte »5, c’est-à-dire la naissance du sujet qui parle et qui, dans sa vulnérabilité, s’expose au regard des autres. Si Levinas écrit dans Autrement qu’être ou au-delà de l’essence « C’est parce que la subjectivité est sensibilité – exposition aux autres, vulnérabilité et responsabilité dans la proximité des autres […] – […] que le sujet est de chair et de sang, homme qui a faim et qui mange, entrailles dans une peau et, ainsi, susceptible de donner le pain de sa bouche ou de donner sa peau »6, les textes de Delbo et d’Antelme portent les traces (physiques) de cette sensibilité du sujet.
2. La polyvalence du « nous »
Dans les recherches sur la littérature des camps, l’usage du terme témoignage signale souvent l’idée d’un engagement politique ou moral qui attribue aux rescapés-écrivains un statut particulier. Les procédés littéraires et le pouvoir de la fiction ne semblent pas compatibles avec l’acte de témoigner qui, dans un sens stricte, actualise le lien désormais perdu avec l’événement et avec l’expérience vécue.7 Ainsi Elisabetta Ruffini déclare dans son article sur Delbo : « Femme dans la Résistance, déportée et survivante, elle s’est faite écrivaine pour témoigner. »8 et cite comme justification une remarque de l’écrivaine faite dans un entretien avec François Bott en 1975. Les propos de Ruffini suggèrent une hiérarchisation des différentes identités de Delbo, dont la passion pour le théâtre et pour Louis Jouvet l’accompagne jusqu’au camp, comme elle l’évoque dans Spectres, mes compagnons. Déjà avant la Résistance, l’écrivaine s’est enthousiasmée pour le pouvoir de l’imagination et de la mise en scène, ce qui explique aussi le mode dramatique qui caractérise surtout son premier texte sur Auschwitz. Nicole Thatcher, par contre, montre brillamment l’influence du théâtre sur les stratégies littéraires de Delbo, mais sans accentuer clairement cet aspect esthétique dans le titre de son intervention.9
Après avoir montré l’impossibilité d’insérer l’œuvre de Delbo dans un genre – et surtout dans la rubrique de témoignage – ou de l’attacher à une identité fixe sans pour autant nier la rupture traumatique d’Auschwitz dans la vie de l’écrivaine, nous examinerons d’abord les éléments paratextuels avant de nous pencher sur l’incipit programmatique de Aucun de nous ne reviendra. Le paratexte reprend la fonction « d’un seuil – mot de Borges à propos d’une préface – d’un “vestibule” qui offre à tout un chacun la possibilité d’entrer, ou de rebrousser chemin »10. Il s’agit alors d’une « zone indécise »11 ou d’une « zone intermédiaire »12, qui donne par l’indication du nom d’auteur, du titre, de l’éditeur, de la collection et par l’épigraphe, les premiers repères pour la lecture. Même si Delbo indique d’avoir écrit son premier texte directement après son retour du camp en 1945, la première édition de Aucun de nous ne reviendra ne paraît qu’en 1965 aux Editions Gonthier à Genève dans la collection « Femme ». Cinq ans plus tard, il y a une réédition chez les Editions de Minuit, qui ont été fondés pendant l’occupation allemande par Vercors et Pierre de Lescure, écrivains et membres de la Résistance. Ce qui frappe d’abord, c’est le changement du nom. L’écrivaine ne porte plus le nom de son mari, mais elle a choisi son nom de famille pour la publication. Qu’il s’agisse d’une décision consciente, cela devient évident dans Le convoi du 24 janvier, une publication plutôt documentaire, qui date de la même année qu’Aucun de nous ne reviendra, ce qui laisse supposer un lien étroit entre les deux textes. Le recueil de fiches biographiques des participantes du convoi nous fournit, dans un ordre alphabétique, quelques informations de base sur les vies des Françaises qui ont été déportées avec Charlotte Delbo à Auschwitz-Birkenau. Si nous cherchons les notices biographiques de l’écrivaine, nous ne les trouvons pas sous le nom de Delbo, mais sous le nom de son mari Georges Dudach, qui a été fusillé en 1942. Comme première hypothèse concernant cette variation de nom, il est à supposer que nous avons affaire à une mise en relief de la scission traumatique entre le temps avant et après Auschwitz, ce qu’affirme le titre postérieur de la trilogie. Mais la situation s’avère être encore plus complexe tenant compte du fait que la photo d’identité de Delbo, conservée aux Archives Départementales de Val-de-Marne, contient l’indication suivante au bord gauche : « Charlotte Delbo, née Dudach ».13
Alors, qui signe sur la couverture ?
C’est une question à laquelle il est impossible de donner une réponse précise, car, dans les textes de Charlotte Delbo, les différents niveaux diégétiques s’interpénètrent mutuellement. Le « Je » qui parle est sujet et objet à la fois. La séparation stricte de l’instance narrative et de l’auteur est abolie et la narratrice dans Aucun de nous ne reviendra prête sa voix tantôt au collectif des victimes, tantôt à la masse des morts, tantôt aux compagnons survivants, tantôt aux hommes dans un sens universel et tantôt à un Je impuissant à se situer clairement dans le discours narratif. Dans la mesure où la voix narrative, qui surgit dès la première page, doute de la légitimité de sa parole, elle se confond avec la forme collective de la première personne au pluriel ou disparaît dans le mode impersonnel. Le collectif évoqué dans le titre du premier volume de la trilogie d’Auschwitz se trouve ainsi déjà en opposition avec le collectif féminin du Convoi du 24 janvier et avec le groupe des Françaises autour de Delbo comme centre d’articulation et de focalisation dans tous les trois volumes. En choisissant la forme masculine de l’adjectif « aucun », l’écrivaine accentue le caractère universel de sa perspective et met au centre le collectif des hommes et des femmes qui ont été à Auschwitz. Qu’il s’agisse d’Auschwitz, le lecteur ne l’apprend qu’indirectement par le titre de la trilogie et, plus tard, dans le dernier tiers du texte, par un fragment intitulé « Auschwitz »14.
Le premier récit de Delbo sur l’expérience concentrationnaire ouvre par le titre Aucun de nous ne reviendra, repris à la fin du texte.15 À la pénultième phrase « Aucun de nous ne reviendra »16, qui ferme le fragment « Printemps », suit l’ultime propos à la dernière page du texte : « Aucun de nous n’aurait dû revenir. »17, remplaçant le futur de la phrase précédente par le conditionnel passé, qui exprime le caractère fini d’une action hypothétique. L’action en question, c’est le retour, mais d’où ce « nous » n’aurait-il dû revenir ? Il y a un décalage entre le fait que l’instance d’énonciation est revenue, car elle est capable d’écrire et de signer son texte, et l’impossible retour d’un lieu avec lequel le « nous » évoqué reste attaché à jamais, ce qu’indique l’usage du futur. L’ouverture du récit, qui prend la fonction d’une exposition, confirme le caractère d’exception du lieu en choisissant comme titre un espace de transition : « Rue de l’arrivée, rue du départ ». La toute première séquence évoque d’abord les adieux et les bienvenues à un endroit non spécifié en répétant cinq fois l’expression impersonnelle « il y a » au début de la ligne, installant par ce mode oral et à la fois poétique une relation de proximité entre la narratrice et son public. L’instance narrative ne commence pas à raconter une histoire, mais cherche à nous faire voir une scène de la vie quotidienne qui ressemble à l’expérience d’un voyage.
Cette impression de participer à une situation familière est contestée par le second passage qui débute par la conjonction « mais », accentuant l’opposition entre le connu et l’inconnu, entre l’imaginable et l’inimaginable.
Mais il est une gare où ceux-là qui arrivent sont justement ceux-là qui partent
une gare où ceux qui arrivent ne sont jamais arrivés, où ceux qui sont partis ne sont jamais revenus.
C’est la plus grande gare du monde.18
Ce qui, dans le premier passage, n’est indiqué qu’implicitement par le pronom adverbial « y », réitéré par l’emploi anaphorique de « Il y a », se voit concrétisé comme « gare » dans le deuxième passage. Mais en même temps la « plus grande gare du monde » ne fait pas parti du monde connu, ce que signalent les deux paradoxes « ceux qui arrivent ne sont jamais arrivés » et « ceux qui sont partis ne sont jamais revenus ». Les deux énonciations sont des contradictions performatives qui, en dernière conséquence, affirment ce qu’elles nient, c’est-à-dire qu’il y avait effectivement un nombre indéfini d’hommes qui y est arrivé et qui y est parti. Simultanément, la double négation renvoie à la disparition complète de ceux qui arrivent et qui partent, et, par conséquent, à un danger ou une terreur encore invisibles. La gare ressemble à un trou (noir) et réfère métonymiquement à Auschwitz. En plus, il y a une référence directe au titre par la reprise du verbe « revenir », associé à la possibilité d’un futur pour le « nous » et déterminant une impossibilité de retour pour « ceux-là ». Tandis que le « nous » désigne l’existence d’un individu qui fait partie du collectif et alors de ceux qui sont revenus, le pronom démonstratif non proximal « ceux-là » renvoie à une certaine distance entre l’instance énonciatrice et les personnes en question.
Il est impossible de situer la voix narrative qui, dans les deux premiers passages, semble se trouver hors de la scène qu’elle présente. Loin de nous livrer une description neutre, objective, concentrée sur les faits, elle cherche à figurer l’inconcevable par une écriture poétique qui donne l’impression d’une présence. Dans ses analyses de la littérature française des années quarante et cinquante, Dominique Rabaté parle des effets de la voix comme étant caractéristiques de cette nouvelle forme du récit.
Car si l’on garde le terme de « voix », même assorti de guillemets pour signaler son usage métaphorique, n’est-ce pas pour chercher à traduire, en une première approximation intuitive, un sentiment de présence, de prise à partie (interpellation ou sommation que nous devons relever) propre au ton de ces œuvres ?19
Dans la mesure où Charlotte Delbo, de même que Jean Cayrol et d’autres, se refuse à donner un récit dans le style d’ancien déporté – ce que suggère la collection « document » dans laquelle la trilogie « Auschwitz et après » a été insérée –, elle met en question les modes conventionnels de présenter un récit de survie et vise à ouvrir les yeux du lecteur pour l’expérience des camps. Cette prise de position implique aussi une critique de la politique de mémoire en France où naît, dans les années quarante et cinquante, le mythe de la Résistance tout en passant sous silence la collaboration et la déportation des Juifs français. C’est pour cela qu’il y a encore une autre signification possible du pronom « nous » dans le titre de Aucun de nous ne reviendra : ce sont les Juifs européens qui, pour la plupart, ne sont pas revenus d’Auschwitz et qui constituent le sujet central de l’ouverture du premier volume de la trilogie de Delbo.
Ce n’est qu’à la fin du premier fragment que le pronom démonstratif « ceux-là » est remplacé par « ces juifs »20. Jusqu’à ce moment, le lecteur doute de l’identité des personnes qui sont décrites et qui peuplent la scène. À partir du troisième passage, l’objet de la narration semble être une quantité indéfinie d’hommes, désignée par le pronom personnel « ils ». « C’est à cette gare qu’ils arrivent, qu’ils viennent de n’importe où. »21 Tout reste dans le flou – les conditions de ce voyage, l’origine des voyageurs, la date de l’arrivée –, sauf le fait qu’ils arrivent avec leurs enfants, dont la mention quadruple dirige l’attention du lecteur vers l’être humain le plus vulnérable et qui dépend de l’assistance des autres. De même que la polyvalence du « nous », le pronom de la troisième personne au pluriel, « ils », comprend d’un côté tous les hommes et de l’autre côté exclusivement les êtres masculins, les chefs de famille, comme l’indique la fin du troisième paragraphe.
Ils ignoraient qu’on prît le train pour l’enfer mais puisqu’ils y sont ils s’arment et se sentent prêts à l’affronter
avec les enfants les femmes les vieux parents
avec les souvenirs de famille et les papiers de famille.22
Dans le monde que dessine la voix narrative, les relations entre les sexes s’organisent traditionnellement, c’est-à-dire le sexe plus fort, ce sont les hommes qui protègent les membres les plus faibles et qui « sont soulagés qu’on fasse passer en premier leurs femmes et leurs enfants »23. Les femmes qui entrent sur scène sont tout d’abord des mères qui « gardent les enfants contre elles »24. Par ces attributions stéréotypées, semble-t-il, la voix cherche à diminuer la distance entre le public et les arrivants. Ces derniers sont présentés premièrement comme famille, et comme telle encore plus exposée à la terreur qui se manifeste dans la présence violente du pronom impersonnel « on », qui crie et qui donne des coups de bâton pour séparer les hommes des femmes et des enfants.25
Dans les passages qui suivent cette scène, la voix narrative concrétise l’identité des arrivants en indiquant d’abord leurs pays d’origine et leurs attentes, pour enfin énumérer les groupes distingués par les différences géographiques – « Il y a ceux qui viennent de Varsovie avec de grands châles et des baluchons noués »26 –, sociales – « Il y a tous les ouvriers fourreurs des grandes villes et tous les tailleurs pour hommes et pour dames »27 – et par la différence d’âge – « Il y a les vieilles gens qui recevaient des nouvelles des enfants en Amérique »28. L’instance narrative reprend la fonction d’une caméra qui nous fait voir différents plans d’un tableau. Par l’usage anaphorique de la formule « il y a », la voix enchaîne la scène de l’arrivée à cette gare sans nom au « centre de l’Europe »29 au premier passage ancré dans l’imaginaire quotidien du public. Auschwitz n’est évoqué que métonymiquement par l’occurrence du pronom adverbial « y », ce qui renforce encore l’effet surréel et cauchemardesque du scénario.
Entre ces deux scènes d’arrivée et de départ tout à fait semblables, se glissent des commentaires narratifs qui mettent en garde le public contre l’apparence du monde connu. Directement après le troisième passage, que nous venons d’analyser, une seule phrase s’y trouve insérée qui dévoile la position supérieure de la voix narrative par rapport aux arrivants. « Ils ne savent pas qu’à cette gare-là on n’arrive pas. »30 La voix dispose d’un savoir dû à une connaissance postérieure ou à une expérience personnelle. Elle ne connaît pas seulement la situation décrite, mais elle observe, comme nous au moment de la lecture, l’arrivée des Juifs à cette gare « qui n’est pas une gare »31. Presque à la fin de l’énumération des groupes constituant la foule à la gare, la voix se révèle faire partie d’un « nous » qui observe une mère calottant son enfant. « Elle calotte son enfant et nous qui savons ne le lui pardonnons pas. D’ailleurs ce serait la même chose si elle le couvrait de baisers. »32
C’est la seule fois, dans le fragment d’ouverture, qu’un « nous » apparaît sur scène, un « nous » qui ne semble pas éloigné de la (non-) gare et qui intervient au moment d’une punition maternelle, ce que confirme aussi l’intérêt particulier pour la figure de la mère comme incarnation du principe de la reproduction généalogique et de la compassion humaine. Cette relation de proximité entre le « nous » et la mère est un premier indice pour l’identité féminine de cette voix collective, identité qui va être affirmée quelques séquences plus tard, dans un dialogue entre une Juive et la narratrice homodiégétique.
3. Nous, vous, ils, je : le glissement du pronom personnel
Entre l’ouverture « Rue de l’arrivée, rue du départ » et le deuxième fragment intitulé « Dialogue » s’insère une série de cinq séquences qui se divise en deux parties : deux appels ou plutôt deux invocations au public et trois poèmes très courts ébauchant l’univers d’Auschwitz. L’instance d’énonciation crée un système de références réciproques entre les différents acteurs qui la plupart du temps ne sont désignés que par les pronoms personnels. D’abord, le « nous » du premier chapitre est mis en opposition à un « vous », auquel s’adresse la voix narrative dans les deux premières séquences. Dans le premier appel ce « vous » est identifié avec l’occident chrétien qui pleure la mort de Jésus sans s’intéresser au sort des Juifs : « Vous qui avez pleuré deux mille ans | un qui a agonisé trois jours et trois nuits »33. Il n’est plus question de dévoiler le vrai caractère de la plus grande gare du monde, mais d’accentuer le décalage entre la souffrance d’un seul homme devenu le fondateur du christianisme et l’inimaginable souffrance de millions de Juifs qui « savaient que vous ne [les] pleureriez pas »34.
Tandis que dans « Rue de l’arrivée, rue du départ » l’instance énonciatrice appartient à l’univers d’Auschwitz, le savoir dans cette séquence implique la prise de conscience d’être exclu de la pitié et de la charité chrétienne. De nouveau, les Juifs ne sont nommés qu’indirectement par le pronom personnel « ils » et par l’indication : « Ils ne croyaient pas à la résurrection dans l’éternité. »35 Dans l’invocation suivante, l’enjeu du savoir passe du côté du « vous » convaincu de sa supériorité intellectuelle et par la suite confronté à une expérience qui ne dépasse pas seulement l’imaginable mais aussi les limites du dicible. « O vous qui savez | saviez-vous que la faim fait briller les yeux que la soif les ternit. » L’exclamation « o » en combinaison avec la question évoque la présence d’une voix qui présente une mémoire collective inscrite dans un corps qui survit malgré une souffrance sans limite et une horreur sans frontière. « O vous qui savez | saviez-vous que les jambes sont plus vulnérables que les yeux | les nerfs plus durs que les os | le cœur plus solide que l’acier »36. La voix qui parle ne se trouve plus en face de la gare où arrivent les gens de partout en Europe, mais semble attachée à une personne qui possède un savoir et qui se voit confrontée à un monde postérieur, autant incapable de comprendre ce qui s’est passé à Auschwitz qu’indifférent à l’extermination des Juifs. Ainsi ces exclamations ont aussi le caractère d’une inculpation de la société contemporaine qui s’obstine à écouter ce que racontent les rescapés.
Les poèmes qui suivent projettent trois scènes sur l’écran de la page blanche qui renvoient métonymiquement à Auschwitz et qui ressemblent à des flash-backs caractéristiques d’une mémoire traumatique. Elles émergent abruptement et sont (hyper)réalistes, sans pour autant donner des références concrètes. C’est en les associant avec le titre de la collection sur la couverture et avec la séquence d’ouverture que le lecteur établit le lien par rapport à Auschwitz. Le premier poème commence par l’entrée en scène du sujet qui parle. Ce « Je » invoque d’abord sa mère pour ensuite disparaître dans la voix collective du « nous » jusqu’à ce que les traces de la subjectivité se perdent dans l’objectivité d’une constatation générale qui clôt le poème.
[…] Ma mère
c’était des mains un visage
Ils ont mis nues devant nousIci ne sont plus mères à leurs enfants.37
« Ma mère », « nos mères », « les mères » constitue une ligne qui révèle un déplacement de la focalisation et un processus de dépersonnalisation. Si « [m]a mère » est substituée par « des mains un visage » dans le deuxième vers, ce qui fait allusion à l’individualité de la personne en question, « nos mères » ne sont plus que des corps nus sans visages dans la troisième ligne pour être niées dans leur nature maternelle dans le dernier vers séparé du reste par une ligne blanche. Dans la mesure où la variation poétique sur la « mère » reprend les mères avec leurs enfants sur la gare et la mère qui calotte son enfant, l’instance d’énonciation tisse un réseau de correspondances entre l’ouverture et ce premier tableau. Cette manifestation de proximité entre la voix narrative et le groupe des mères contraste avec une altérité complète englobée dans le pronom personnel « Ils » et l’adverbe du lieu « Ici » liés par l’antéposition au début du vers.
La détermination adverbiale « ici » crée un effet de présence qui est renforcé par l’usage du présent en contraste avec le passé (imparfait, passé composé) dans les trois premières lignes. Parallèlement à la polyvalence du « nous », l’usage des temps dans l’ouverture et dans les séquences qui suivent reflète une mise en abîme des différents niveaux diégétiques. Au futur du titre s’ajoute le présent du début qui plonge toute la scène de l’arrivée et du départ dans une atmosphère de temps non-fini, c’est-à-dire nous, les lecteurs, assistons à la création d’un scénario qui s’inscrit dans notre actualité. Ce que la voix ne raconte pas dans « Rue de l’arrivé, rue du départ », c’est la mort des femmes, des enfants et des hommes. L’arrivée dans la salle de douche et la remarque « Et peut-être alors tous comprennent-ils »38, sont suivis d’un passage au présent dans lequel est évoqué la problématique d’une compréhension tardive, puis, il y a un blanc et la voix continue : « On habillera un orchestre avec les jupes plissées des fillettes. »39 Entre le présent et le futur se glisse l’indicible qui laisse disparaître les individus avec leurs corps. Les jupes, les vêtements et les cendres renvoient à l’anéantissement des gens à la gare qui sont d’abord remplacées par « ces juifs » se transformant ensuite en « ce combustible » et en « phosphate humain »40.
L’usage de l’imparfait caractérise surtout les invocations et les tableaux et signale un changement de mode et de la position. Si la voix narrative semble être jusqu’alors (presque) un observateur hors de la scène, elle interrompt son récit après l’ouverture pour s’adresser directement au public et pour s’introduire comme rescapée. Contrairement aux conventions d’un récit de survie qui commence en général par l’histoire de l’arrestation et de la déportation, l’instance narrative, dans Aucun de nous ne reviendra, met au centre l’agonie du peuple juif à Auschwitz. Ainsi des descriptions presque objectives alternent avec des impressions subjectives, le mode impersonnel avec la stupeur face à l’ignorance de la société d’après-guerre. Auschwitz désigne dans ce contexte l’expérience d’un trauma double : pour la voix narrative, c’est « la plus grande gare du monde pour les arrivées et les départs » et c’est le lieu où « il aurait mieux valu ne jamais entrer [ici] et ne jamais savoir. »41
Que la voix sait ce qui s’est passé à Auschwitz, cela se manifeste déjà dans le titre, mais devient évident dans l’usage du passé dans les tableaux. L’imparfait marque une distance et situe le récit dans le passé. L’événement raconté n’a plus de lien avec l’actualité de l’énonciatrice qui se rend compte du fait qu’elle raconte une histoire malgré sa volonté de ne jamais faire une histoire d’Auschwitz, comme elle le dit plus tard (« Et maintenant je suis dans un café à écrire cette histoire – car cela devient une histoire. »42). Les trois tableaux ouvrent alors l’espace du passé dans lequel s’inscrit d’abord le trauma de l’anéantissement des Juifs (« Tous étaient marqués au bras d’un numéro indélébile | Tous devaient mourir nus || Le tatouage identifiait les morts et les mortes. »43) qui sont la masse des morts à Auschwitz. Le dernier tableau de la « plaine désolée | au bord d’une ville » situe l’actualisation du cauchemar non-fini dans un paysage d’hiver, « La plaine était glacée »44 – c’est en janvier 1943 que Charlotte Delbo arrive à Auschwitz – avant de dévoiler l’identité du « Je » dans le dialogue avec une Française, porteuse de l’étoile jaune.
DIALOGUE
Tu es française ?
– Oui.
– Moi aussi.
Elle n’a pas d’F sur la poitrine. Une étoile.45
C’est la première fois que nous apprenons directement que la voix est celle d’une Française non-juive et qu’elle ne se trouve pas en dehors du camp mais directement dans le camp. Nous apprenons aussi qu’il y a seize jours qu’elle est arrivée « ici » et qu’elle est convaincue de devoir lutter, à l’inverse de l’autre femme présumée juive, qu’elle qualifie de « petite, chétive »46. La narratrice appartient à un groupe « de huit camarades que la mort allait séparer »47 formant une communauté de solidarité qui s’encourage et qui s’entraide à survivre. Le premier « nous » qui apparaît au milieu de la description des groupes à la gare d’Auschwitz est alors à identifier avec les détenues politiques françaises qui ont été déportées à Auschwitz-Birkenau. Dans le fragment intitulé « Dialogue », l’énonciatrice dénonce la présumée égalité entre les victimes (la narratrice dit : « Oh, nos chances sont égales, va… », et l’autre, l’étoile sur la poitrine, répond : « Pour nous, il n’y a pas d’espoir. »48), pour mettre en avant la situation beaucoup plus grave des Juives, dont les blocks « étaient plus surpeuplés que les autres » et qui « avaient plus souvent que nous [= les internées politiques françaises] des punitions générales »49. Dans l’introduction au Convoi du 24 Janvier Charlotte Delbo accentue l’importance du soutien des autres pour avoir une possibilité de survivre, ce que les Juives pour la plupart n’ont pas eu, parce qu’elles ont été parquées avec d’autres Juives qui ne parlaient pas leur langue. « En parlant de ce que nous étions avant, de notre vie, nous continuions cet avant, nous gardions notre réalité. Chacune des revenantes sait que, sans les autres, elle ne serait pas revenue. »50
L’ouverture du premier volume de la trilogie d’Auschwitz révèle qu’il ne s’agit pas primairement d’un témoignage personnel mais d’un récit qui cherche à nous faire voir un monde au-delà de notre imagination au centre de l’Europe. Par un procédé poétique qui se base sur un glissement du pronom personnel et sur le principe de la répétition, la voix narrative fait surgir une scène quotidienne bien connue – l’arrivée et le départ à la gare – qui se transforme successivement en une situation de vie et de mort. L’omission des références concrètes et le refus de reproduire la logique meurtrière des nazis divisant l’espèce humaine en ceux dignes de vivre et ceux non-dignes de vivre incitent le lecteur non pas seulement à s’imaginer l’indicible, mais aussi à reconstruire les pas qu’ont fait les gens arrivant à cette plus grande gare du monde. Dans la mesure où nous voyons ces gens arriver et partir pour les douches, nous commençons à comprendre sans pour autant y participer. La voix arrange les scènes et expose les gens dans leur vulnérabilité à notre regard afin d’agrandir, à la fin du premier fragment, le choc que nous assistons à ce qu’on appelle aujourd’hui la Shoah.
4. Le corps et le genre
En ce qui concerne les paratextes du premier volume de la trilogie d’Auschwitz, il y a encore l’épigraphe à nommer qui précède le premier fragment et qui se retrouve, en forme presque identique, à la fin du premier extrait de La mémoire et les jours : « Aujourd’hui, je ne suis pas sûre que ce que j’ai écrit soit vrai. Je suis sûre que c’est véridique. »51 L’indication temporelle se réfère au décalage entre le temps de la rédaction et l’année de la publication de Aucun de nous ne reviendra. Par rapport aux témoignages qui commencent souvent par une dédicace ou un prologue au lecteur dans lequel l’auteur-rescapé affirme la vérité de ce qu’il va raconter, Charlotte Delbo rejette l’idée d’une reproduction fidèle de ce qu’elle a vécue et met en avant le processus d’adaptation en accentuant la différence entre l’expérience et le récit qu’elle nous en donne. Le savoir de ne pas pouvoir tout raconter fait allusion à l’impossibilité d’actualiser le trauma subi qui, d’un côté, échappe à l’accès de la personne affectée et qui de l’autre côté brise l’ordre chronologique du temps.
Cette conscience du paradoxe de devoir tout raconter et de ne pas pouvoir reconstruire complètement les mémoires traumatiques se reflète aussi dans le prologue de L’espèce humaine où Robert Antelme évoque la distance grandissante entre ce que les rescapés ontvécu et les possibilités d’expression. « Et dès les premiers jours cependant », écrit Antelme dans l’avant-propos, « il nous paraissait impossible de combler la distance que nous découvrions entre le langage dont nous disposions et cette expérience que, pour la plupart, nous étions encore en train de poursuivre dans notre corps. »52 Pour Charlotte Delbo il y a deux formes de mémoire à distinguer : une mémoire profonde, dans laquelle « les sensations sont intactes »53 et une mémoire ordinaire, qui rend possible le retour dans le monde d’après-guerre. Elle insiste sur la coupure entre le temps à Auschwitz et le temps après, ce qui la mène au constat de vivre « dans un être double »54. Par conséquent, si elle parle de son expérience « ce n’est pas de la mémoire profonde que viennent mes paroles. Les paroles viennent de la mémoire externe, si je puis dire, la mémoire intellectuelle, la mémoire de la pensée. La mémoire profonde garde les sensations, les empreintes physiques. C’est la mémoire des sens. »55 Cette différence fondamentale entre savoir et sentir, entre l’inscription du trauma dans le corps et les limites de l’articulation, aboutit à la réaffirmation de l’opposition entre vrai et véridique au seuil du premier volume de la trilogie d’Auschwitz. « C’est pourquoi je dis aujourd’hui que, tout en sachant très bien que c’est véridique, je ne sais plus si c’est vrai. »56
Ce qui associe Antelme à Delbo, c’est l’insistance sur l’aspect physique de l’expérience, c’est-à-dire que le trauma de la déshumanisation reste inscrit et vivant dans le corps. Loin de raconter une histoire cohérente, Delbo et Antelme cherchent à trouver une forme de faire sentir la scission traumatique. Tous les deux optent pour une narration qui met au centre le corps sans pour autant se perdre dans l’analyse des affects et des émotions. Au contraire, le corps avec ses besoins domine la perception et reprend deux fonctions : d’un côté, il est la source d’une souffrance individuelle et collective, de l’autre côté, il fond la communauté humaine en tant qu’ensemble des êtres mortels et vulnérables.
L’aspect du genre détermine le point de vue de l’instance narrative et déplace la focalisation. Vivre dans un corps féminin ou dans un corps masculin influence la perception du monde ainsi que le dialogue avec les autres. Le raisonnement que l’usage d’une voix commune est surtout l’expression typique d’une position féminine s’avère être trop court dans le cas des œuvres citées,57 car le « nous » joue un rôle important dans tous les textes qui portent sur une situation extrême. Par l’introduction d’un énonciateur pluriel, l’instance narrative ne se solidarise pas seulement avec les autres, vivants ou morts, mais signale aussi la conscience d’une expérience collective à raconter. Tandis que le « nous » dans Aucun de nous ne reviendra renvoie à une collectivité multiple, la signification du « nous » dans L’espèce humaine se réfère primairement à la communauté des détenus politiques français, d’abord à Buchenwald, plus tard dans le kommando Gandersheim. Si chez Delbo le pronom personnel de la première personne au pluriel fait part d’un système de déplacements et d’interférences, le « nous » dans L’espèce humaine se trouve toujours en opposition avec la présence impersonnelle et omniprésente d’un « on ». C’est dans Les paroles suffoquées que Sarah Kofman expose par rapport à L’espèce humaine la fonction rythmant des « “on”, anonymes et indéfinis qui sonnent le glas de la singularité et la neutralisent, soulignant, par leur répétition, la situation panique du déporté, la perte du “je” et du nom propre […]. »58
Ces observations permettent de conclure à une différence essentielle de l’expérience concentrationnaire concernant le genre. Mais une telle affirmation ne tient pas compte des conditions diverses de déportation et d’internement, nommées clairement par Charlotte Delbo dans l’introduction au Convoi du 24 janvier. Robert Antelme souligne aussi dans L’Avant-Propos les différents degrés de l’oppression dans les camps de concentration en Allemagne et il conclut : « Je rapporte ici ce que j’ai vécu. L’horreur n’y est pas gigantesque. Il n’y a à Gandersheim ni chambre à gaz, ni crématoire. »59 Que le monde dans L’espèce humaine soit exclusivement masculin est dû au fait que le kommando ne se compose que d’hommes. Les femmes que la voix narrative mentionne sont rares. D’abord, c’est la secrétaire allemande qui contrôle le narrateur quand il balaie. Puis c’est la fermière « rouge, forte »60 qui tue les poulets que son fils, « Jeunesse Hitlérienne », porte au SS. A côté de ces femmes qui collaborent avec le système totalitaire, il y a aussi des personnages féminins qui remplissent une fonction positive. Dans la première partie de L’espèce humaine, intitulée « Gandersheim », le narrateur rencontre une jeune allemande en civil qui lui donne un morceau de pain, ce qu’il interprète comme acte de solidarité. Dans la deuxième partie, « La Route », les restes du kommando s’arrêtent dans un village où les gens donnent de la bière au SS et de l’eau aux détenus. Au moment où le narrateur se penche pour boire, une femme s’approche de lui et lorsqu’il s’adresse à elle en allemand, disant « Bitte ? », ce geste la fait tressaillir. Après avoir bu il lui remercie d’un petit signe de tête et puis il commente cette scène : « Un instant, devant cette femme, je me suis conduit comme un homme normal. Je ne me voyais pas. Mais je comprends bien que c’est l’humain en moi qui l’a fait reculer. S’il vous plaît, dit par l’un de nous, devait résonner diaboliquement. »61
Qu’est-ce que la conduite comme « homme normal » signifie dans ce contexte ? Pour un moment, le narrateur échappe au contrôle de la SS et des kapos, qui, selon le principe « Je ne veux pas que tu existes », cherchent à déposséder les déportés. Ne pas se voir a pour conséquence de ne pas être conscient de la perte du corps non plus, qui échappe au pouvoir de la volonté individuelle. Dans cette situation, le retour à la normalité implique la possibilité d’entrer en tant qu’homme en contact avec l’autre sexe. Mais cette reprise d’une allure normale ne dure que quelques secondes, car la femme recule face à l’apparence des hommes complètement épuisés. Le sujet décharné rentre dans la collectivité du « nous », reprend sa position dans la foule des camarades et l’instant d’une reconstitution de soi (‑même) est passé.
C’est sous le regard féminin que la voix narrative s’aperçoit de la confirmation de sa masculinité désormais dépourvue de sa force virile. Si les rencontres avec les femmes allemandes créent des moments échappatoires au système d’oppression, le fait de penser à la bien-aimée M. ne renvoie pas seulement à l’existence avant la déportation, mais aussi à l’intimité du couple et au désir sexuel forcément refoulés dans la communauté des déportés. Il y a deux scènes dans L’espèce humaine dans lesquelles la voix narrative évoque la présence de M. D’abord, c’est avant Noël, dans la première partie, que le narrateur réalise d’avoir déjà oublié sa voix et son rire, étouffés au fur et à mesure par les voix des copains et des allemands.62 Dans la troisième partie, « La Fin », le sujet qui parle regarde ses cuisses violettes, ses genoux énormes et son sexe plein de poux. Tandis que ses copains s’imaginent leurs femmes, il n’ose plus penser à M. car il sent ses forces diminuer. « Les femmes ne savent pas que nous sommes intouchables maintenant. Au kommando, j’appelais M… Je crois que je n’ose plus maintenant. Une brume m’enveloppe. J’use ma force à tenir debout et à écraser les poux. »63
La mention de M. constitue un des rares moments dans lesquels la voix narrative établit une référence autobiographique directe. Nous n’apprenons rien de sa vie d’avant la déportation et, en général, ses émotions n’entrent pas non plus dans la description de l’expérience concentrationnaire. Robert Antelme se comprend surtout comme porte-parole d’une collectivité masculine qui ne peut résister autrement au système de la négation totale que par la pratique quotidienne de solidarité. Dans la mesure où parler, raconter implique déjà un acte de résistance, L’espèce humaine met la lutte des déportés français contre la dégradation physique et morale au centre de l’écriture. Ainsi le récit oscille-t-il entre la perspective du sujet qui parle et celle du collectif des déportés politiques français qui, dans la hiérarchie du camp de Buchenwald, se trouvent au degré le plus bas. Comme les SS du kommando « n’ont pas de Juifs sous la main », les détenus français reprennent la fonction d’ « une peste humaine ».64
Même si les expériences d’Antelme et de Delbo diffèrent, tous les deux nous font voir la vulnérabilité de l’espèce humaine qui ne peut pas être divisée, ce qui, en fait, reste le message central des deux textes. En arrivant à Buchenwald, le plus grand choc pour Antelme, c’était l’imitation des SS par ses « semblables ». Le manque de solidarité entre les détenus déclenche une réflexion du narrateur sur les conditions dans lesquelles naît un kapo ou un autre « Funktionshäftling » qui, par contagion, comme il l’explique tout au début de L’espèce humaine, désigne ses camarades par un langage qui aurait dû être réservé aux SS. Cette volonté de comprendre marque les efforts de la voix narrative qui tantôt décrit, tantôt commente ce qu’elle a vécu. Malgré la coïncidence du « je » qui parle et du « je » qui subit ce qu’il raconte, l’instance d’énonciation reste à distance et reprend plutôt le rôle d’un réalisateur.65 Le narrateur-réalisateur expose au lecteur l’interaction entre les victimes et les bourreaux et révèle la création d’une zone grise dans laquelle les limites entre innocent et coupable deviennent floues.66 Assez rarement il laisse entrevoir sa propre douleur, la souffrance individuelle. En reprenant la distinction de Charlotte Delbo entre mémoire ordinaire et mémoire profonde, force est de constater que le narrateur de L’espèce humaine laisse surgir l’univers du kommando Gandersheim en écartant sa souffrance. Ainsi, juste dans les moments dans lesquelles il se souvient de M., les traces du trauma deviennent sensibles.
Dans Aucun de nous ne reviendra la voix narrative ne mentionne pas seulement la différence entre les femmes juives et les détenues politiques françaises, mais révèle aussi une perception différente par rapport à l’humiliation masculine et féminine. Il y a deux fragments intitulés « Les hommes » qui montrent des scènes dans lesquelles la narratrice est témoin direct de la dégradation morale et physique des hommes. Au début de son temps à Auschwitz, elle décrit comment, le matin ou le soir, les femmes ont croisé les colonnes d’hommes juifs et non-juifs, enfermés en eux-mêmes sans jamais prêter attention aux femmes qui, elles, cherchent à entrer en contact avec eux et qui finalement leur lancent leur pain. Ce geste de solidarité qui aurait dû faire du bien aux hommes se renverse complètement et mène à une « mêlée », suivie d’une intervention du SS.
[…] Aussitôt, c’est une mêlée. Ils attrapent le pain, se le disputent, se l’arrachent. Ils ont des yeux de loup. Deux roulent dans le fossé avec le pain qui s’échappe.
Nous les regardons se battre et nous pleurons.
Le SS hurle, jette son chien sur eux. La colonne se reforme, reprend sa marche. Links. Zwei. Drei.
Ils n’ont pas tourné la tête vers nous.67
Les hommes sont présentés comme une masse informe d’animaux qui réagit instinctivement et se trouve dans un combat pour survivre. Il n’y a aucune possibilité de communication et même les regards des femmes ne provoquent aucune réaction. Assister à cette métamorphose des hommes en loups correspond à la participation passive d’une perte d’identité qui a pour conséquence un changement de rôles, c’est-à-dire les femmes se trouvent ici dans une situation de supériorité morale. Même si elles aussi souffrent de faim, elles sont capables d’organiser quelque pain pour les hommes. Le spectacle d’une bataille pour un morceau de pain les fait éprouver de la pitié pour ces êtres « pitoyables, saignants de misère comme tous les hommes ici »68. La communauté féminine ne garantit pas seulement le maintien de l’humanité, mais elle éprouve aussi de l’empathie, complètement disparue dans la colonne des hommes.
A la fin du premier volume de la trilogie d’Auschwitz, la narratrice décrit une scène qui correspond à cette première. Elle évoque la stérilisation des hommes qui a lieu dans le camp des femmes. De nouveau elle fait allusion à la gêne qu’elle éprouve en regardant les hommes qui attendent chacun pour soi et qui savent ce qui va se passer dans la baraque. Quand les hommes sortent, ils n’osent plus regarder les autres et la voix commente : « Comment dire la détresse dans leurs gestes. L’humiliation dans leurs yeux. »69 Devenir témoin involontaire de la mutilation du corps masculin marque une dimension jusqu’alors inconnue de la souffrance humaine. Dans l’univers clos des détenues féminines, la présence des hommes actualise la conscience des rôles sexuels qui, dans la perspective de Delbo, sont organisés traditionnellement, c’est-à-dire selon un ordre hétéronormatif qui attribue aux hommes la force physique et aux femmes la force morale. Cette hiérarchie des sexes est déjà troublée en prison où les femmes réalisent que les hommes ont plus besoin de leur soutien que vice versa, ce que met en avant la narratrice dans le premier fragment intitulé « Les hommes » du deuxième volume de la trilogie, Une connaissance inutile.
Les hommes nous aimaient aussi, mais misérablement. Ils éprouvaient, plus aigu que tout autre, le sentiment d’être diminués dans leur force et dans leur devoir d’hommes, parce qu’ils ne pouvaient rien pour les femmes. Si nous souffrions de les voir malheureux, affamés, dénués, ils souffraient davantage encore de ne plus être en mesure de nous protéger, de nous défendre, de ne plus assumer seuls le destin. Pourtant, les femmes les avaient, dès le premier moment, déchargés de leur responsabilité. Elles les avaient tout de suite dégagés de leur souci d’hommes pour les femmes.70
Pour Delbo, les hommes sont incapables de réagir autrement à la perte de leur masculinité que par le repli sur soi-même, ce qui est le cas en prison et plus tard au camp. La cohésion entre les déportés politiques, évoquée par Antelme, ne s’observe pas à Auschwitz, ce qu’affirme aussi le récit de Primo Levi. L’amalgame de toutes les nations et de toutes les langues rend la formation de communautés solidaires presque impossible. En revanche, le groupe des femmes auquel appartient Charlotte Delbo crée un espace autre dans lequel chacune est intégrée dans une culture d’empathie qui s’attache aux hommes – « Chacun est seul en soi-même »71 – et pareillement aux femmes faibles et impuissantes sans des ressources de résistance.
5. Spectres, mes compagnons
Dans le premier volume de la trilogie d’Auschwitz, l’instance narrative reste près des corps épuisés et mourants qui ne sont plus identifiables comme femme ou comme homme. Dans le fragment « Un jour », elle prête d’abord sa voix à une femme juive agonisante pour finalement détourner son regard et découvrir un garçonnet à l’entrée du block 25.
Debout, enveloppé dans une couverture, un enfant, un garçonnet. Une tête rasée, très petite, un visage où saillent les mâchoires et l’arcade sourcilière. Pieds nus, il sautille sans arrêt, animé d’un mouvement frénétique qui fait penser à celui des sauvages quand ils dansent. Il veut agiter les bras aussi pour se réchauffer. La couverture s’écarte. C’est une femme. Un squelette de femme. Elle est nue. On voit les côtes et les os iliaques. Elle remonte la couverture sur ses épaules, continue à danser. Une danse de mécanique. Un squelette de femme qui danse. Ses pieds sont petits, maigres et nus dans la neige. Il y a des squelettes vivants et qui dansent.72
La déformation du corps due au processus de privation alimentaire systématique, aux appels interminables, au travail dur et aux coups de bâton rend impossible la classification de cette apparence d’un être présumé humain. Pendant les heures de l’appel, la narratrice observe l’agonie lente d’une jeune Juive qui déclenche le souvenir d’enfance de la mort de son chien Flac, « le premier être que je voyais mourir ». Par la description de ce corps féminin, la voix narrative efface les différences entre vie et mort, entre homme et animal et finalement entre le monde animé et le monde inanimé. Regarder ailleurs implique ici assister à la mort de ceux qui n’ont plus la force de résister. Si la couleur jaune constitue le lien associatif entre le manteau de la femme mourante et le chien Flac, « dont tout le corps s’arrondissait en squelette d’oiseau du muséum », la décomposition corporelle s’avance dans la mesure où les forces vitales diminuent afin de transformer cette femme en « un sac jaune ». L’entrecroisement des deux scènes d’agonie, de la Juive dans le fossé et du chien Flac, établit une relation entre la mémoire individuelle et la mémoire collective, entre le sujet qui parle et l’autre en train de mourir. Le point de vue glisse d’une focalisation zéro vers la focalisation interne de la Juive qui s’adresse aux autres : « Pourquoi vous étonnez-vous que je marche ? N’avez-vous pas entendu qu’il m’a appelée, lui, le SS qui est devant la porte avec son chien. Vous n’entendez pas parce que vous êtes mortes.»73 En se mettant à la place de cette femme épuisée, la narratrice sent aussi « les crocs du chien dans [s]a gorge »74 qui finalement bondit sur la femme et la tue.
Contrairement à la documentation que Charlotte Delbo donne dans Le convoi du 24 janvier le premier volume Aucun de nous ne reviendra joue avec les attentes attachées au genre du récit de survie. Le sujet qui commence à raconter son expérience se trouve toujours du côté des victimes qui ne peuvent plus parler. Son récit est légitimé par la mort des autres devenus des spectres qui hantent sa mémoire et son imaginaire.75 Spectres, mes compagnons, c’est aussi le titre d’une lettre de Delbo à Louis Jouvet, dans laquelle elle décrit la force vitale des personnages fictifs, soit romanesques soit théâtraux, qui l’ont accompagnée en prison et au camp.76 Le terme de « spectre » s’avère être autant ambigu que le « nous » polyvalent : d’une part il renvoie au processus de transformation poétique de la réalité physique en un monde fictionnel et « inépuisable ». L’épigraphe qui précède la lettre de Delbo à Jouvet résume cette signification de manière très pertinente :
Les créatures du poète ne sont pas créatures charnelles, c’est pourquoi je les nomme spectres. Elles sont plus vraies que les créatures de chair et de sang parce qu’elles sont inépuisables. C’est pourquoi elles sont mes amis, nos compagnons, ceux grâce à qui nous sommes reliés aux autres humains, dans la chaîne des êtres et dans la chaîne de l’histoire.77
D’autre part, le fait de devenir un « spectre » est associé à une diminution ou à une perte. Dans le fragment « Les mannequins », dans lequel la voix décrit l’agonie et la mort des femmes au block 25, les corps mourants ou déjà morts sont d’abord comparés aux poupées nues dans les vitres des galeries, que la narratrice se souvient d’avoir vu comme enfant, et ensuite aux « spectres » : « Il y a des spectres qui parlent. »78 Les spectres semblent personnifier une troisième espèce, car ils n’appartiennent ni au monde des vivants ni à l’univers des morts. En même temps, leur image semble plus vraie et plus présente dans la mémoire de la voix narrative qui débute par la description des « mannequins » et des spectres au lieu de raconter son arrivée à Auschwitz. Si dans Aucun de nous ne reviendra le mot « spectre » signale l’effacement des limites entre vivant et mort, il se réfère, dans le troisième volume Mesure de nos jours, à une séparation entre le sujet qui raconte et les autres. Tout au début, la narratrice évoque son retour à Paris en avion, dans lequel elle commence à réaliser son éloignement des autres revenantes. « Seules leurs voix demeuraient et encore s’éloignaient-elles à mesure que Paris rapprochait. Je les regardais se transformer sous mes yeux, devenir transparentes, devenir floues, devenir spectres. »79
Par l’usage polyvalent du terme « spectre » Charlotte Delbo crée un lien entre les procédés poétiques et son expérience qu’elle ne peut articuler et transmettre qu’à travers un récit a-chronologique et associatif, qui nous confronte avec un monde à l’envers dans lequel tout est possible, même la métamorphose des détenus en êtres plus proches des animaux que de l’espèce humaine. La voix dirige notre regard toujours vers la souffrance des autres, nous montre des atrocités inimaginables, afin d’enregistrer les attaques des nazis contre l’humanité dans l’imaginaire collectif. Elle isole des scènes et des situations qui se répètent tout au long du premier volume et qui, dans la répétition, déploient leur potentiel irritant.
Dans La mémoire et les jours Charlotte Delbo compare le traumatisme d’Auschwitz à « une peau usée »80 qui s’est renouvelée après son retour, sans avoir effacé les traces du passé. Son premier récit actualise cette scission traumatique par une écriture où se confondent les genres, les perspectives et surtout les différents niveaux diégétiques. Le seul point fixe dans le camp concentrationnaire, ce sont les compagnons de Delbo qui l’ont aidée à survivre et qui, par le don de l’empathie, forment un monde à part. Dans le récit de Robert Antelme ce n’est pas exclusivement la présence des autres qui garantit la survie du narrateur, mais ce sont les mots échangés furtivement avec des personnes inconnues qui reflètent la possibilité d’une compréhension muette et par cela d’une résistance à la destruction omniprésente. C’est le « langsam » du Rhénan à l’usine et c’est aussi le « Ja » du jeune Russe tout à la fin du récit, qui réaffirme la continuité de l’espèce humaine. Ainsi Delbo et Antelme, par leurs récits de survie, n’évoquent pas l’inimaginable mais cherchent à actualiser le camp comme traumatisme de leur mémoire profonde et aussi de notre mémoire collective.
Cf. Henry Rousso, Le syndrome de Vichy : de 1944 à nos jours (Paris : Seuil, 1990). En ce qui concerne la révision de la mémoire culturelle, l’œuvre de Michael Rothberg montre la simultanéité du traumatisme de la guerre d’Algérie et l’apparition du rescapé de la Shoah sur la scène publique, cf. Michael Rothberg, Multidirectional Memory : Remembering the Holocaust in the Age of Decolonization (Stanford : Stanford University Press, 2009), 175–224.↩
Philippe Mesnard, « Pourquoi Charlotte Delbo ? », dans Dossier Delbo, dir. par Philippe Mesnard et Yannis Thanassekos, Revue pluridisciplinaire de la Fondation Auschwitz 105 (octobre–novembre 2009) : 17–22, 17.↩
Cf. S. Lillian Kremer, Women’s Holocaust Writing : Memory and imagination (Lincoln/London : University of Nebraska Press, 1999) ; Elizabeth R. Baer et Myrna Goldenberg, dir., Experience and Expression : Women, the Nazis and the Holocaust (Detroit : Wayne State University Press, 2003), XIII–XXXIII ; Marianne Hirsch, The Generation of Postmemory : Writing and Visual Culture after the Holocaust (New York : Columbia University Press, 2012).↩
Dominique Rabaté, Vers une littérature de l’épuisement (Paris : José Corti, 2004), 9.↩
Cf. Jean Bellemin-Noël, Vers l’inconscient du texte (Paris : PUF, 1992).↩
Emmanuel Levinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence (Paris : Livre de poche, [1978] 2010), 124.↩
En ce qui concerne la relation paradoxale entre témoignage et littérature cf. Silke Segler-Meßner, « Une connaissance inutile : zum Paradox literarischer Zeugenschaft », dans Vom Zeugnis zur Fiktion : Repräsentationen von Lagerwirklichkeit und Shoah in der französischen Literatur nach 1945, dir. par Silke Segler-Meßner, Monika Neuhofer et Peter Kuon (Frankfurt a.M. : Peter Lang, 2006), 21–36.↩
Elisabeth Ruffini, « L’engagement de Charlotte Delbo : déportée, survivante, témoin », dans Dossier Delbo, 25–39, 25.↩
Cf. Nicole Thatcher, « Le témoignage d’une femme de lettres », dans Dossier Delbo, 47–62.↩
Cf. Gérard Genette, Seuils (Paris : Seuil, [1987] 2002), 8.↩
Claude Duchet, « Pour une socio-critique », dans Littérature 1 (1971) : 6.↩
Antoine Compagnon, La Seconde Main ou le travail de la citation (Paris : Seuil, 1979), 328.↩
Cf. Caroline Moorehead, A Train in Winter : An Extraordinary Story of Women, Friendship and Resistance in Occupied France (New York : Harper Collins, 2011).↩
Cf. Charlotte Delbo, Aucun de nous ne reviendra : Auschwitz et après I (Paris : Minuit, [1970] 1998), 140.↩
Ce qui confirme le caractère d’exception du titre, c’est sa référence intertextuelle au poème « La maison des morts » d’Apollinaire, qui se trouve dans le recueil Alcools, cf. Guillaume Apollinaire, Alcools (Paris : Gallimard, [1920] 2005), 45. Dans le deuxième volume de la trilogie d’Auschwitz la voix d’énonciation évoque dans le fragment « À Yvonne Blech » sa passion pour Apollinaire et Claudel, cf. Charlotte Delbo, Une connaissance inutile : Auschwitz et après II (Paris : Minuit, [1970] 1998), 34.↩
Cf. Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 182.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 183.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 9.↩
Rabaté, Vers une littérature de l’épuisement, 19.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 18.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 10.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 10.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 12.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 11.↩
Cf. Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 11.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 13.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 15.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 14.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 12.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 10.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 11.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 15.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 20↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 20↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 20↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 21↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 23 (mise en relief par S. S.-M.).↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 17.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 17.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 18.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 19.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 45.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 24.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 25.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 26.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 27.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 28.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 27.↩
Charlotte Delbo, Le Convoi du 24 janvier (Paris : Minuit, 1965), 16.↩
Delbo, Le Convoi du 24 janvier, 17.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 7. [italiques dans le texte original]↩
Robert Antelme, L’espèce humaine (Paris : Gallimard, 1957), 9.↩
Charlotte Delbo, La mémoire et les jours (Paris : Berg international, 1995), 13.↩
Delbo, La mémoire et les jours, 13.↩
Delbo, La mémoire et les jours, 14.↩
Delbo, La mémoire et les jours, 14.↩
Vera Nünning et Ansgar Nünning, dir., Erzähltextanalyse und Gender Studies (Stuttgart : Metzler, 2004), 146–147.↩
Sarah Kofman, Paroles Suffoquées (Paris : Galilée, 1987), 53.↩
Antelme, L’espèce humaine, 11.↩
Antelme, L’espèce humaine, 82.↩
Antelme, L’espèce humaine, 255.↩
Antelme, L’espèce humaine, 114.↩
Antelme, L’espèce humaine, 277.↩
Antelme, L’espèce humaine, 81.↩
Cf. Georges Perec, « Robert Antelme ou la vérité de la littérature », dans Robert Antelme, Textes inédits : Sur L’espèce humaine : Essais et témoignages (Paris : Gallimard, 1996), 173–190, 178.↩
Cf. Silke Segler-Meßner, « Grauzonen », dans Von Tätern und Opfern : zur medialen Darstellung politisch und ethnisch motivierter Gewalt im 20./21. Jahrhundert, dir. par Claudia Nickel et Silke Segler-Meßner (Frankfurt a.M. : Peter Lang, 2013) 19–40, 31–34.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 36.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 36.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 153.↩
Delbo, Une connaissance inutile, 10.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 152.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 44–45.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 47.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 48.↩
Cf. Kathryn Robson, Writing Wounds : The Inscription of Trauma in post-1968 French Women’s Life-Writing (Amsterdam : Rodopi, 2004), 157–182 (ces pages correspondent au chapitre « Ghost-writing the Holocaust : Charlotte Delbo’s Auschwitz et après »).↩
Cf. Charlotte Delbo, Spectres, mes compagnons (Paris : Berg international, 1995).↩
Delbo, Spectres, mes compagnons, 5.↩
Delbo, Aucun de nous ne reviendra, 32.↩
Charlotte Delbo, Mesure de nos jours : Auschwitz et après III (Paris : Minuit, 1971), 9.↩
Delbo, La Mémoire et les Jours, 11.↩
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