Les récits mémoriels français du réseau concentrationnaire de Flossenbürg : écritures et évolutions
Isabella von Treskow
1. Introduction
Enfin nous quittâmes la route, et par un long chemin détrempé et rempli d’ornières, nous atteignîmes un camp dont nous apercevions l’enceinte de barbelés, les miradors et les baraques adossées en escalier à flanc de montagne. Les S.S. nous regroupèrent. Cela nous permit de souffler un peu, et ce fut en bon ordre que nous pénétrâmes dans ce camp … Nous ignorions encore qu’il s’agissait du sinistre camp de Flossenbürg.
Nous franchîmes un portail au fronton duquel étaient inscrits ces mots : « Arbeit macht fre[i]. (Le travail rend libre) » Le choc fut terrible … Je ne sais comment exprimer ce qui se passa en moi, comment décrire toute l’angoisse, toute l’indignation qui s’empara de moi à la vue du spectacle horrible et terrifiant qui apparut brutalement sous mes yeux et qu’aucune phrase ne peut décrire tant l’horreur dépasse toute imagination1.
Exprimer l’appréhension qui l’envahit dès les premières impressions du camp de concentration de Flossenbürg n’est nullement chose aisée pour Gilbert Coquempot. Hésitant sur le pouvoir de la parole, l’écriture prend le temps d’exprimer l’incertitude, tant les émotions de Coquempot furent débordantes quand il vit les prisonniers du camp, et tant la réaction du lecteur est imprévisible. Car au-delà du doute sur la possibilité de représenter les images de violence et de détresse encore présentes à l’esprit, ce qui est en jeu, c’est bien l’imagination du lecteur face aux monstruosités, ainsi que la conception du témoignage. Un texte testimonial est souvent vu par contraste avec la littérature fictionnelle, comme un rapport sans déformations et sans détours. On lui attribue avec de bonnes raisons une portée symbolique moindre que celle d’un texte fictionnel ou poétique, mais on oublie parfois qu’un témoignage sous forme de récit recèle néanmoins des fonctions littéraires qui valent plus généralement pour tout texte narratif. Quand cette problématique est abordée, c’est souvent au détriment de la souplesse de l’écriture et d’une tolérance appropriée lors de la lecture. Car si l’idée de neutralité est réalisée de manière unidimensionnelle, le texte risque de faire abstraction de la subjectivité même de l’auteur_e sans tenir compte du fait que toute connaissance est relative à la personne qui perçoit le monde, y compris sa vie intérieure, et que les sentiments forts ne se traduisent jamais en paroles de façon immédiate.
Coquempot se heurte à ces problèmes, mais ne se dispense pas pour autant d’offrir ses souvenirs sous forme de récit personnel, ceux de la Résistance à Boulogne-sur-Mer, de la déportation et de la détention entre 1943 et 1945. Il ne renonce pas non plus à décrire en détail ce qu’il a vécu au camp de Flossenbürg et ailleurs, si terrible que cela ait pu être, toujours dans le but de coucher sur le papier ses souvenirs et de témoigner par écrit, comme il l’a déjà fait oralement dans ses interventions antérieures auprès de classes de collégiens et de lycéens, « de ce que furent le nazisme, la Résistance, la déportation et la Shoah »2.
Tout en sachant qu’il ne sera jamais possible de transmettre les émotions d’autrefois, les événements dans leur ampleur, la cruauté des acteurs – SS, Gestapo, gendarmerie, militaires et autres –, les caractéristiques de l’idéologie fasciste et la dimension de la lutte contre la mort dans les camps de concentration, Coquempot se décide à prendre la parole puisque c’est elle qui fournit le lien entre lui-même et ceux qu’il connaissait autrefois, ceux qui l’entourent, ceux qui lisent son texte et ceux qui en parlent. La tâche est difficile. Elle l’est encore parce que tout acte visant à faire revivre les expériences allant de l’arrestation à l’internement dans un camp nazi entraîne la douleur des souvenirs de l’humiliation et des émotions intenses vis-à-vis des acteurs, dont la violence dépassait toute mesure, et de ceux qui furent responsables du système concentrationnaire et, d’une manière générale, répressif. Ainsi, la réflexion sur les récits des rescapés du camp de Flossenbürg demande à respecter le potentiel du langage et les standards narratifs du siècle, les prétentions et les soucis des auteures et des auteurs, et les difficultés diverses inhérentes au processus d’écriture, qui ne peut se faire à tête reposée ou avec un recul quelconque quand il thématise l’internement dans un camp nazi.
Aux impondérables du vécu individuel et des choix d’écriture subjectifs s’ajoute le fait qu’on ne peut parler du camp de Flossenbürg comme d’un camp unique qui soit resté identique et immuable de sa création en 1938 à sa libération en avril 19453. « Flossenbürg », camp de concentration de la Forêt du Haut-Palatinat (Oberpfalz), est largement tombé dans l’oubli jusqu’à sa redécouverte en tant que camp nazi (et non comme site industriel). Le réseau concentrationnaire de Flossenbürg était constitué par le camp central et les kommandos extérieurs, des camps et des prisons externes. Les conditions de détention s’avèrent différentes selon la période d’internement des prisonniers, leur lieu d’emprisonnement précis, (par ex. Stammlager de Flossenbürg, galerie de Hersbruck ou usine dans des villes comme Zschopau ou Flöha par exemple, où Robert Desnos fut condamné au travail obligatoire), selon le motif de l’internement, le sexe et le statut au sein de la communauté carcérale. Face à cette diversité, l’objectif de la présente réflexion sur les récits français liés au réseau concentrationnaire de Flossenbürg n’est pas de livrer des analyses approfondies, mais de les faire connaître, d’en apprécier la valeur, d’attirer l’attention sur quelques-unes de leurs caractéristiques et d’analyser quelques points intéressants pour les études littéraires, concernant avant tout des questions de genre, de représentation et de narration. Car c’est aussi grâce à ces récits que notre image de l’Histoire se forme. L’étendue et la variété de la littérature mémorielle en langue française sont telles que ces propos ne pourront être qu’elliptiques, l’interrogation se focalisant sur quelques points seulement. Voici donc ceux qui seront étudiés dans les chapitres suivants : (2) Le point de vue national, (3) Neutralité et équilibre – l’instance narrative et la narration, (4) La structure et la restriction du champ de vision, (5) Les pronoms « je », « nous » et « on », et (6) Ecritures en écho, évolution des publications.
Les quelques lignes de Gilbert Coquempot citées précédemment montrent qu’il n’est guère envisageable de parler (ou d’écrire) pour s’adresser à un large public ou encore d’écrire pour échapper au limites temporelles si l’on écarte le dilemme suivant : on ne peut respecter l’objectivité et la neutralité comme dans un document dont l’auteur_e est censé_e s’effacer. Pour restituer le choc et la terreur vécus par l’ancien prisonnier et par toutes les victimes du régime nazi, donc les personnes persécutées, et pour témoigner du sort de ceux qui sont morts, on est obligé de revenir au regard subjectif et de signaler l’individualité des personnes concernées. Ce dilemme est contrebalancé par l’idée d’une mémoire partagée, par l’acte de création d’un moyen intermédiaire apte à capter l’attention du public et en même temps à documenter l’Histoire. Le récit autobiographique met ainsi en relation l’instance narrative d’un individu concret, le destinataire et l’objet du texte.
Ce cadre ne peut se réaliser qu’à travers une langue (en général nationale, mais d’autres découpages sont possibles) et dans un contexte social, culturel, civilisationnel concret. Les idées, soutenues par l’intention et l’émotion des deux côtés, narrateur et narrataire, s’échangent en général dans le même contexte linguistique et culturel. En ce qui concerne Coquempot, les expériences et le point de vue personnel de l’auteur influencent par exemple la transmission du désarroi profond ressenti au cours de l’histoire de sa persécution, puisqu’elle se situe dans le cadre d’une situation de production et de réception essentiellement imprégnée par la culture française et francophone du XXe siècle. Nul besoin d’expliquer ce qu’est la Résistance ni de donner une idée de sa valeur pour un public français. Un « je » prononcé par un ancien combattant produit une impression différente du « je » d’un prisonnier réquisitionné par le STO, de celui d’un prêtre, du « je » d’un rom persécuté ou d’un déporté juif. Ce n’est là qu’un exemple pour dire que les tentatives de comprendre les processus historiques, le concept de témoignage ou de récit autobiographique et de valeur de l’écriture, la conception du Moi et les valeurs collectives ne peuvent être dissociés des paramètres de la culture dont provient l’auteur ou l’auteure, dans laquelle il ou elle vit et à laquelle le public est censé appartenir.
2. Le point de vue national
Avoir été membre de la communauté des Français ou des Belges au sein du camp joue un rôle primordial pour la perception de l’internement en Allemagne. L’image de soi est en relation avec la nationalité et s’ajoute aux prétextes ou aux « raisons » de l’emprisonnement d’une part, et de l’autoperception des auteur_e_s d’autre part. Dans de nombreux récits de survivants de Flossenbürg, d’autres Français ou d’autres Belges sont mentionnés. Il en découle un esprit national au sein du groupe français. Le nombre réduit et la répartition dans les camps des déportés belges a rendu difficile leur regroupement et par conséquent leur recours à l’identité nationale4.
À propos de « la logique nationale » qu’il analyse dans les textes concernant le camp de Mauthausen, « logique » dont on ne peut donner ici que quelques impressions en rapport avec les textes issus de l’expérience du réseau concentrationnaire de Flossenbürg, Peter Kuon écrit :
De l’esprit d’entraide fraternel, désintéressé, généreux qui régit les rapports, toujours individuels, avec les amis les plus proches souvent issus du même réseau de Résistance, de la même région, du même convoi, plus rarement choisis parmi les détenus d’autres nationalités, il n’y a qu’un pas aux gestes qui servent à affirmer et à resserrer un groupe plus large, national (les Français, les Polonais etc.) ou international (les communistes, les catholiques, etc.). S’il est vrai que bien des survivants français se souviennent du soutien souvent décisif d’amis étrangers […], il faut bien admettre que l’entraide, dès qu’elle n’est plus strictement individuelle s’appuyant sur des affinités électives ou des liens amicaux, suit au niveau collectif une logique avant tout nationale5.
Les récits de Robert Olivier, Louis Poutrain et Paul Beschet d’une part, Ombre parmi les ombres d’Eliane Jeannin Garreau et les textes de Frania Eisenbach Haverland et d’Odette Spingarn d’autre part sont de bons exemples qui nous renseignent à la fois sur l’entraide française, mais aussi sur le resserrement de la communauté face aux communautés « autres », surtout russes ou polonaises. Gilbert Coquempot résume ainsi le rapport entre les groupes au sein du camp de concentration :
Puis venait le soir. […] [C]’était le moment de la journée que nous appréciions le plus : le camp s’animait et surtout, surtout, parmi tous ces déportés qui revenaient, nous retrouvions avec joie des compagnons français et de nationalités différentes tels que les Tchèques, les Belges, etc. dont nous avions fait la connaissance et avec qui nous avions sympathisé6.
On y remarque une prise de distance par rapport aux Belges, mais surtout, avec bien plus de vigueur, aux Russes et aux Polonais. Le récit renouvelle la hiérarchie du camp – à tort ou à raison dans ce cas précis, on l’ignore – et cela vaut aussi dans les cas exceptionnels7. À Zschopau, annexe de Flossenbürg où Odette Spingarn, déportée à Auschwitz en tant que juive au printemps 1944, travailla à partir du mois d’octobre 1944 dans une usine de l’Auto-Union, les groupes semblent se mélanger davantage. Toujours est-il que le récit précise constamment la nationalité de chaque déportée, amie ou non8. Dans Ombre parmi les ombres, Jeannin Garreau désigne carrément son groupe de détenues comme « [s]a famille »9, et dit des « communistes de [leur] convoi » qu’elles ont été « remarquables de courage et de détermination »10. Qu’elle ait été membre de la Résistance est important pour l’idée qu’elle se fait d’elle-même et son rapport à la France. Le sous-titre Chronique d’une Résistance 1941–1945 indique que la Résistance ne s’achevait pas avec la déportation, et cette idée sous-tend l’ensemble des mémoires. La source de son identité personnelle et de son vécu des camps de concentration de Ravensbrück et Holleischen (Holýšov) réside dans la relation à son pays occupé par les Allemands, dont elle parle au début du récit comme d’une relation à une terre et à des valeurs : « La patrie était en danger, non seulement territorialement, mais dans les valeurs qu’elle nous avait transmises11. »
Jeannin Garreau explique combien le rôle et l’engagement de l’interprète dans le contexte hostile du camp allemand ont été importants pour la survie. Elle transmet en outre aux lecteurs la valeur de l’amitié et de la fraternité, surtout venant de ses compatriotes ou de celles qui parlent le français12. Il est même question d’amour quand Jeannin Garreau explique dans son récit l’entraide de « ces petites cellules humaines qu’on peut vraiment appeler familles, où la solidarité était telle qu’on peut, sans aucune ambiguïté, l’appeler amour13 ». Le regard jeté sur les « femmes de l’Est » est indulgent, mais la distance est rarement surmontable, du fait des différences culturelles : « Car nous sommes quelques françaises parmi des femmes de l’Est dont l’enfance misérable, l’histoire tumultueuse et le long internement ont fait, pour certaines, des demi-sauvages14. »
La ligne de partage se fait par plusieurs moyens, critères renforçant l’identité nationale ou prise de distance avec les autres, d’abord les Allemands, mais aussi les prisonniers originaires d’autres pays. Ainsi, les témoignages ne sont pas exempts de stéréotypes, auto-stéréotypes où s’affiche la fierté (« esprits cartésiens15 » par ex.), mais surtout ceux dont étaient victimes les prisonniers ou prisonnières (« nous les femmes décadentes, les femmes légères, les femmes pas bonnes-à-grand-chose16 »). Mis à part ce genre d’évocations d’un caractère (prétendument) national, on trouve maintes allusions à la culture nationale : La Marseillaise17, les cigarettes « Gauloises » et « les biscuits de chez nous18 », la poésie et les chansons d’enfance19, des auteurs comme André Gide, Jean Giono, Charles Maurras et Jean de La Varende20, Corneille et Guillaume Apollinaire21, et notamment ceux considérés comme des soutiens de la Résistance à l’intérieur du camp, comme Louis Aragon. Jeannin Garreau insère une réflexion détaillée sur l’essence de la patrie, « la vieille culture populaire », provenant de la tradition22. Quant aux activités, les récits parlent du chant, de l’écriture et des cercles culturels, organisés entre autres par Robert Desnos, et de la création littéraire au sens propre du terme. Henri Margraff rapporte un épisode de crise surmontée alors que les prisonniers avaient la permission d’envoyer des lettres à leurs familles en France :
Je pus aussi approcher de plus près Robert Desnos qui avait animé les causeries culturelles de campagne. Il faisait « cercle » avec les deux frères Knall-Demars, mes compagnons de cellule à la prison du « 92 ». […] Lorsque je ramassai les fiches, Desnos me tendit son feuillet, poème à la fois mélancolique et ravissant pour sa femme. Il ne voulut pas croire que son billet allait annuler l’ensemble des expéditions et je me suis mis à l’engueuler, exaspéré autant qu’épuisé, le traitant d’idiot, de crétin et de que sais-je encore. Les frères Knall se sont vite entremis et une heure plus tard l’incident se clôtura par des embrassades23.
L’origine des déportés joue un rôle important pour mettre en perspective et interpréter ce qui concerne concrètement les camps : la perception du lieu – le camp principal de Flossenbürg se trouve au bout d’une vallée de montagne entourée de parois rocheuses et de conifères –, les intempéries – froid, neige, pluie ou bien chaleur intense – et la communauté carcérale. Au camp principal de Flossenbürg se trouvait un grand nombre d’hommes internés en tant que « criminels », les « triangles verts » (Grünwinkel)24. S’y ajoute le travail forcé, soit à Flossenbürg, soit dans un camp annexe.
Dans les mémoires de Coquempot, l’aspect du paysage et l’aspect de la répression se fondent dans l’expression « sinistre camp de Flossenbürg25 ». Le caractère menaçant du sort des prisonniers est également mis en relation avec la description du lieu dans Mission en Thuringe de Paul Beschet, prêtre enrôlé dans le STO. En outre, on y trouve le contraste entre la féodalité, représentée par la forteresse, et l’esclavage des détenus, sous-entendant une atmosphère médiévale, tandis que la représentation de la relation entre les SS et les déportés est caractérisée par l’image du boucher et d’une livraison de bétail :
Le troupeau, après un changement de voiture à Weiden, descend à Floss, où passe une petite ligne de montagne. Les schupos nous ont dit que c’était là. Chacun se nourrit de chimères accrochées à quelques indications vagues que donnent les policiers. Mais nos illusions tomberont vite. Un S.S., gaillard solide, accoudé au portillon de la gare, nous évalue du regard comme un boucher son bétail encore vif. On passe devant lui, toujours enchaînés quatre par quatre. C’est alors la montée à Flossenbürg qui commence.
[…] Au milieu de la vallée, cernée de montagnes sombres et automnales, juchée sur un piton rocheux, une ruine féodale semble guider la marche de cette masse humaine captive qui courbe déjà la tête comme si elle en avait depuis longtemps pris l’habitude. Après trois heures d’une marche lente on parvient enfin au village agrippé au flanc de ce vieux château26.
S’y ajoute la perception spécifique des criminels allemands de droit commun devenus kapos, qui traitent les Français, entre autres, de personnes « sales27 » et sans discipline, en recourant aux stéréotypes répandus depuis longtemps. La littérature mémorielle y répond à la fois par la révélation des méfaits inouïs commis par les Allemands et par l’emploi de l’ironie pour dénoncer la manie de la discipline des responsables, leur sens « allemand » de l’ordre et leur obsession du contrôle. La remarque de Coquempot, « ce fut en bon ordre que nous pénétrâmes dans ce camp28 », est une réaction à cette hantise du désordre et de l’indiscipline. La critique de l’idée de suprématie de la civilisation allemande se fait jour par ex. dans les remarques ironiques de Carl Schrade, telles que « pas un hiatus, pas un lapsus dans cette mâle et superbe organisation29 » ou « le Grand Reich allemand, pacificateur et vainqueur magnanime des pays dégénérés, fait sortir du sol par un coup de baguette magique des cités nouvelles, centres de rééducation et d’utilisation humanitaire des peuples écrasés : Auschwitz […]30 ». Le démantèlement des SS est son projet de revanche personnelle, l’ironie lui sert également à retrouver sa fierté d’homme31, ce qui vaut aussi pour Eliane Jeannin Garreau quand elle décrit par ex. une sentinelle allemande dont la « fille était elle-même dans un camp de concentration, sous le triangle rose des condamnés pour affaire de mœurs, pour avoir couché avec un prisonnier de guerre français. Crime impardonnable contre la pureté de la race aryenne32. » L’ironie est l’envers de l’impuissance et le symbole de la victoire. L’impuissance, les détenus la ressentaient sans arrêt pour eux-mêmes, mais aussi dans les moments de violence contre d’autres prisonniers. L’ironie permet la prise de distance et acquiert une fonction de résistance passive au moment de l’emprisonnement33. On dirait à ce propos que Carl Schrade, Suisse germanophone, profite de la position de distance dans son récit, probablement écrit en France, pour critiquer avec ironie et sarcasme les SS et les nazis allemands, si ce n’est les Allemands tout court, afin de bien marquer son identité nationale différente.
L’isolement, la désolation de Flossenbürg, « vrai camp de la mort34 », surtout dans la phase finale, loin de la France, près de l’ancienne frontière tchèque à l’est du pays et loin de la civilisation, trouve son écho le plus fort dans les récits de l’hiver 1944 et du printemps 1945, lorsque sont thématisées les marches de la mort à l’approche des forces alliées venant de l’est et de l’ouest35. L’idée du contraste entre la vie en France, surtout après la libération de Paris en juin 1944, et l’internement dans les conditions les plus terribles qui soient, telle qu’elle est construite dans Ombre parmi les ombres d’Eliane Jeannin Garreau, sert non seulement à démontrer comment elle a continué à se garder mentalement sa place dans son pays natal tout en étant emprisonnée en Allemagne, mais aussi à illustrer l’opposition entre sa situation pénible et marginale de prisonnière dans une région tchèque soumise aux Allemands, proche de la mort du fait des conditions de détention, et d’autre part, la communauté des Français restés en France, entre les horreurs de la captivité dans un camp secondaire de Flossenbürg, Holleischen et la libération de la capitale, ainsi qu’entre sa liberté intérieure de résistante et la vaine volonté des nazis de la vaincre physiquement et psychiquement :
Nous savions que Paris était libéré. Notre joie était intense, nous avions le sentiment que nous avions fait notre petite part dans ce grand combat. Là encore nous ne savions pas que nous aurions si longtemps encore à attendre la liberté.
Cette joie-là, un jour, s’est approfondie jusqu’à devenir un intense bonheur ; […]. Je m’étais isolée derrière un buisson, sur le chantier de terrassement, et tout à coup j’ai vu à terre un morceau de papier journal français. Et sur ce journal, en grosses lettres, était écrit : « Depuis le 25 Août, les Français mangent du pain blanc. » Une onde de paix m’a traversée toute entière, et je me suis dit à voix haute :
‒ Mission accomplie. Je peux mourir maintenant. Ça n’aura pas été pour rien36.
Par ailleurs, Jeannin Garreau n’hésite pas, tout comme Schrade, à subvertir l’ordre et la rhétorique des nazis pour prouver que ce sont les SS et les représentants de la dictature qui incarnent l’animalité, et non les prisonniers traités de bêtes, de porcs, d’animaux sales37, de « déchet »38. Carl Schrade écrit : « Sur le visage de ces hommes se lisait une étrange lueur de bestialité vulgaire qui contrastait vivement avec leurs uniformes et leurs hauts grades39. » Il s’agit d’un écho à l’idéologie nazie qui faisait des représentants de l’Etat, voire du peuple allemand tout entier la victime de certains groupes ethniques ou sociaux. On ne cessait de diffuser l’idée du danger que représentaient ces groupes (les juifs, les roms, etc.), y compris les détenus des camps de concentration. Cette diabolisation servait à dépeindre les SS en sauveurs du peuple allemand, supérieurs à tous ces captifs incarnant la menace de l’ordre social40. Dans le même esprit que Schrade, Jeannin Garreau présente comme suit le comportement des gardiennes allemandes et des sentinelles lors d’un transfert en train :
La présence permanente de l’Aufseherin si proche est pénible. On ne sait jamais comment elle va réagir – et à quoi elle va réagir. Elle est seule en face de ces femmes qu’on lui a appris – cela s’appelle l’éducation politique – à considérer comme de dangereux animaux inférieurs. Elle doit avoir peur. Elle est assise sur le bidon de café, contre l’ouverture du wagon pour que l’homme armé l’entende au premier appel. Elle s’ennuie. Le voyage sera plus long encore pour elle que pour nous.
Mais ces femmes nazifiées savent se procurer des distractions. Pendant toute la durée du long voyage, chaque gardienne a reçu la visite de chaque sentinelle. Et ils ont copulé (il n’a y pas de terme plus adapté) sur les bidons de café. Sans pudeur. Sans honte. Sans gêne devant ces non-êtres que nous étions pour eux41.
Le récit prend doucement son élan. L’anecdote prouve combien les femmes prisonnières étaient quasiment inexistantes pour les gardiennes SS. Celles-ci et les sentinelles agissent sans égards pour les détenues. Jeannin donne également à entendre que si l’on tient à considérer métaphoriquement les êtres humains comme des animaux inférieurs du point de vue de la civilisation, ce sont les Allemands qui seraient coupables. Le brin d’ironie dans la phrase d’introduction du paragraphe « Mais ces femmes nazifiées savent se procurer des distractions » fait sourire. Du coup, le lecteur ne s’attend pas à la suite et le récit profite du choc que provoque le constat « Et ils ont copulé. ». Le rythme du texte met en œuvre une stratégie d’ébranlement du lecteur : plus la narration progresse, plus les phrases deviennent brèves.
L’aspect culturel national, vu comme facteur d’identité et comme élément contribuant à la survie pendant la détention, est souvent renforcé par des références à la culture française du temps de l’écriture. Les auteur_e_s ajoutent par ex. des allusions, des citations et des devises, ainsi Maurice Mazaleyrat dont le Flossenburg – Arbeit macht frei, paru en 1987, s’ouvre sur un extrait des Enchantements sur Paris du résistant Jacques Yonnet42. Relevons également Le Vétéran de Schrade, où figurent des propos de Charles Péguy au commencement du chapitre « VI Flossenbürg »43.
3. Neutralité et équilibre – l’instance narrative et la narration
La littérature mémorielle des camps se nourrit de différents ressorts : souci de préserver les souvenirs et de garantir la transmission des informations, intention de consigner par écrit une déposition à valeur documentaire, de protéger les récits par une narration échappant durablement à l’oubli, mais aussi dessein de raconter ce qu’on a vécu sans en avoir jusque-là parlé à ses proches (c’est le cas d’Odette Spingarn), résultat de besoins personnels, psychologiques par ex., et du désir de donner un sens au vécu et au savoir émanant des terribles épreuves de la persécution, de la violence, des événements survenus depuis le début de la politique agressive du « IIIe Reich » jusqu’à la période de l’après-guerre, ou procédant de ce qui est ressenti comme une dette envers ce vécu, y compris la mémoire des morts. Tant que cette littérature se rattache aux paradigmes du témoignage, elle est censée réaliser l’harmonisation du subjectif avec l’objectif, ce qui pose quelques problèmes quand un auteur ou une auteure essaie d’être à tout prix objectif et réaliste.
L’intégration des récits de rescapés de la déportation nazie au domaine de la littérature date de quelques dizaines d’années. La possibilité de cette intégration est due à l’élargissement du champ littéraire et à l’appréciation récente du témoin dans la sphère publique médiatisée44. L’ancien_ne déporté_e devient par ses propos un témoin privilégié des atrocités des camps de concentration, un locuteur qui témoigne surtout des faits collectifs. L’auteur_e est censé_e garantir physiquement et intellectuellement la vérité des faits relatés, par la sincérité de la parole. La reconnaissance de cette garantie par celles et ceux qui l’écoutent, dans une salle de conférences, une salle de classe au lycée ou un amphithéâtre universitaire par exemple, se base sur une idée spécifique de l’objectivité45. L’objectivité se reconnaît à une prise de distance par rapport aux faits relatés, et le lectorat moderne discerne cette prise de distance entre autres par la rationalité du dit et de l’écrit en matière de style, de structure, de références, ainsi que dans la signification accordée aux expériences.
Impossible de démêler le vrai du faux dans un récit personnel, même s’il se veut véridique à cent pour cent, ni de distinguer le discours subjectif d’une relation objective aux faits rapportés. Aussi arbitraires qu’elles puissent paraître, ces dichotomies artificielles se retrouvent implicitement dans nombre de textes restituant les faits historiques de la détention dans les camps, tels L’univers concentrationnaire de David Rousset, L’espèce humaine de Robert Antelme, ou encore Flossenburg de Léon Calembert. A l’instar du témoignage juridique46, ce texte essaie de présenter les informations de manière à ce que le jugement moral soit formé par le destinataire et dans ce but, le locuteur se présente comme une personne crédible par un acte d’énonciation particulièrement neutre. Ruth Amossy a démontré les conséquences de ces objectifs en analysant L’espèce humaine d’Antelme : « Sur le plan du dire, le sujet parlant doit projeter l’image d’un témoin fiable », écrit-elle, et elle explique le choix du « style nu » et par les événements et par l’idée de neutralité de l’auteur :
C’est en vue de rendre un réel à la fois existant et invraisemblable, effectivement vécu et inimaginable, c’est pour suggérer une souffrance et une monstruosité qui ne peuvent se transmettre, que le témoignant use d’un style nu fait de raccourcis et de juxtapositions. Tel est le cadre dans lequel prend sens l’effacement du locuteur au sein d’un discours pourtant rédigé à la première personne, où le je n’évalue, ni ne juge47.
Ces techniques sont également repérables dans Flossenburg, où Léon Calembert essaie de renoncer à une manifestation esthétique de subjectivité. Le critère de l’objectivité du témoin et le but de garantir la neutralité semblent d’abord accomplis dès lors que celui-ci ne se montre pas ému par ses propres propos. Un témoin moderne est censé ne pas s’émouvoir, ou seulement par moments (devant un tribunal, par ex.). Dans la mesure où Calembert fait abstraction d’un « je » personnalisé, il remplit bien le rôle du témoin neutre et axé sur l’information pure. Flossenburg donne rarement un commentaire aidant à l’interprétation du relaté. L’auteur élimine les marques verbales de la première personne énonciative, il progresse par phrases courtes, avec un ordre parataxique.
Le critère d’immuabilité tient aussi au mode d’énonciation. Un public rigoureux attend un discours « en règle », c’est-à-dire correct du point de vue de la grammaire, du rythme et de la longueur. La détermination de ce qui est correct dans un souci « de reconstituer une vision cohérente de la réalité concentrationnaire ou génocidaire sur le mode de la ressemblance », s’inscrivant « dans la tradition réaliste dont nombre des standards ont été institués au XIXe siècle48 », répondrait aux critères suivants : équilibre, calme, caractère consciencieux, référence à des événements vérifiables par d’autres moyens, conscience des limites du savoir de la personne qui parle, de la subjectivité du regard de cette personne, indication des sources du savoir de cette dernière dès que ce n’est pas d’elle-même qu’il provient. Les deux parties prenantes du processus de la communication, locuteur et destinataire, prévoient d’instaurer un dialogue stable, et Léon Calembert recourt à ces moyens linguistiques qui fondent son discours testimonial. Comme la plupart des rescapés de Flossenbürg, il s’adapte à ces prémisses dans un souci de compréhensibilité à tous les niveaux de la communication.
Simultanément, la subjectivité est bien la cause de l’intérêt du public. Pour ce qui est des textes imprimés, seule l’indication de l’identité entre auteur, narrateur et personnage principal, basée sur l’identité du nom propre utilisé pour les trois instances49, relie l’auteur et le lecteur. Les lecteurs recherchent à la fois les assurances mentionnées ci-dessus et le discours personnel qui comprend, de plus, l’appropriation du passé par le sujet parlant ou écrivant, en général lui-même, un être rationnel. Malgré sa volonté de ne se laisser émouvoir que jusqu’à un certain point, le destinataire va aussi à la rencontre d’une personne profondément meurtrie, incarnation des effets de la terreur nazie et des atrocités de l’oppression des êtres humains dans les camps allemands, comme le dit Silke Segler-Meßner50. La blessure traumatisante est en effet à la source du régime narratif de Calembert, puisque selon Jean-Louis Kupper, celui-ci a dit explicitement à sa femme qu’il voulait « se libérer de toutes ses angoisses51 ». Pour les survivants, les raisons de parler ou d’écrire et de rendre publiques leurs paroles sont donc multiples : entretenir la mémoire des victimes et veiller à la pérennité de la transmission du récit des atrocités commises à l’intérieur des camps de concentration – on en a beaucoup parlé et c’est toujours le point de départ des réflexions52 –, mais au-delà, aussi, besoin réparateur et volonté de provoquer des jugements moraux, « l’impératif éthique53 » des témoignages.
La discussion autour du témoignage nous rappelle que les écrits des rescapés naissent dans un contexte valorisant la véracité et la somatisation du vécu avec un impact particulier. Léon Weintraub a répété à plusieurs reprises, à la plus grande surprise du public, que lorsqu’il était à Auschwitz, il ne se doutait pas du tout que l’objectif était l’anéantissement des Juifs54. La présence sur les lieux n’équivaut pas à un savoir parfait – si cela existe. Mais le besoin de maîtriser et de contrôler le savoir persiste, avant tout du côté du public. Ces valeurs répondent à une pensée guidée potentiellement par la peur de la tromperie, une peur générale, et elles renvoient au besoin d’emprise. Elles peuvent de plus refléter la perte des facultés émotionnelles sous l’effet de la détention, comme lorsque Roger Boulanger rapporte dans Un fétu de paille dans les bourrasques de l’Histoire son arrivée au camp de Johanngeorgenstadt, un camp annexe de Flossenbürg : « En ce début de février 1944, par un froid glacial et enneigé, je franchis le portail de mon troisième camp de concentration. Sans la moindre émotion. Ma sensibilité était émoussée, mon esprit aussi55. » Enfin, dans le contexte plus restreint de la réception de témoignages, ces valeurs peuvent répondre à la peur d’être déconcerté.
Chez Calembert, la neutralité de l’auteur de Flossenburg provient peut-être aussi de ce souci de maîtrise recourant à l’idéal d’exactitude familier à cet ingénieur géologue, chercheur scientifique à l’Université de Liège avant et après l’internement. C’est la volonté d’être maître de ses propres pensées et propos qui se fait jour dans son texte. Le lectorat a affaire à la résolution ferme de dominer la terreur par des mots autant que possible épurés d’affectivité, notamment parce qu’ils touchent profondément le sujet narrant, l’auteur56. Quant aux récits des prêtres Paul Beschet et Louis Poutrain, la relation entre l’émotion et la mise en mots intègre les ressources et les possibilités offertes par la foi chrétienne pour atténuer la douleur.
L’historien Lucien Febvre, fondateur de l’école des Annales, fut l’un des premiers à mettre l’accent sur l’histoire des mentalités et sur une réflexion sur la fonction de l’environnement ou de la collectivité pour l’idée et la conception de l’Histoire en général. Dans sa leçon inaugurale au Collège de France du 13 décembre 1933, intitulée « Examen de conscience d’une histoire et d’un historien », il affirmait que l’idée selon laquelle l’homme est un être isolé, développant ses pensées de manière individuelle, était une abstraction. Il soutenait que chaque homme appartenait à des groupes, revalorisant ainsi l’aspect collectif et aussi la voix de l’homme de la rue par rapport à celles des célébrités. A la même époque, Maurice Halbwachs, assassiné plus tard en 1944 au camp de Buchenwald, mit en relief l’importance des « cadres sociaux » de la mémoire individuelle57. Tous deux réagissaient à la crise du sujet en attirant l’attention sur la collectivité. Febvre ouvrit la voie à la valorisation du témoin en tant que personne publique, telle qu’elle est en vigueur aujourd’hui. Les idées de Febvre se réalisent évidemment dans les récits mémoriels des survivants, mais elles y sont nuancées car ces textes en changent partiellement la valeur et la signification. Le rapport individualité-collectivité est en jeu d’une manière radicale dans le cas du récit mémoriel du camp. Le rôle précis de l’individu dans la mémoire supra-individuelle et celui de la collectivité dans le cas concret du lager ne s’inscrivent pas tout à fait dans le concept précédent. Le principe de collectivité et le contraste entre individu et groupe devenant assez ambivalents au sein du camp, où l’on tente d’éliminer toute individualité par principe, la dichotomie et l’idée de la représentation fonctionnent autrement que dans les prévisions de Febvre.
Les témoignages d’inspiration documentaire et neutre, austères comme celui de Calembert ou le « roman » d’Antelme, valorisent la communauté au cours de la détention dans les camps de concentration, sans toujours permettre de comprendre que leur perspective narrative ne peut être neutre. La communauté à laquelle un détenu du camp pouvait faire confiance se résumait vite aux membres de sa famille, si celle-ci était internée au même moment, et à ses quelques amis, dans la plupart des cas des prisonniers de la même nation. Si représentation il y a, c’est la représentation de ce groupe. De plus, les textes sont parfois durs envers l’idée d’humanité des propos de Febvre, qui défiait l’Histoire traditionnelle en mettant en évidence que « les faits […] sont des faits humains » et que la « tâche de l’historien » consistait à « retrouver les hommes qui les ont vécus »58. Les témoignages des camps révèlent en effet tout ce dont les êtres humains sont capables. Febvre insistait également pour que soient utilisés « tous les textes59 », donc aussi ceux de personnes défavorisées. Parmi les documents à consulter, il cite « un poème, un tableau, un drame : documents pour nous, témoins d’une histoire vivante et humaine, saturés de pensée et d’action en puissance60 … ». Dans nombre de cas, l’expérience des camps semble affaiblir l’idée qu’un témoignage puisse être « saturé » d’action libre et de pensées. Au contraire, un auteur comme Calembert préfère confier aux lecteurs le fardeau de réfléchir, de reconstruire la ligne allant de la cause à l’effet des événements des années trente et quarante, et d’entendre l’appel au jugement historique. Dans Flossenburg, le commentaire est uniquement l’affaire des lectrices ou lecteurs, et ce poids du jugement moral est lourd. La neutralité affective se mue ainsi en surcharge affective de l’instance réceptive.
Febvre se prononça également dans sa conférence sur la création des souvenirs. L’être humain ne se souvient jamais exactement du passé, il le « reconstruit61 », dit-il. Il soulignait dans son texte qu’il n’y a pas, dans l’étude de l’Histoire, de lignes fines et nettes allant d’un point à un autre, du vécu à l’écrit, du souvenir à l’historiographie. On construit ses souvenirs à partir de ce qui se présente comme souvenir au moment où on y pense. Pourtant, le témoignage documentaire ne rend pas forcément l’aspect du présent comme temps du souvenir : Flossenburg plane dans l’atemporalité. La position du locuteur dans l’ « ici et maintenant » du discours est tout autant escamotée que son individualité est occultée62. Par son style impersonnel, impassible et atemporel, Léon Calembert essaie donc de dissimuler non seulement sa voix narrative, mais aussi le présent de la narration. Les informations nous parviennent suspendues dans un espace de temporalité universelle où l’instance narrative se réduit à la représentation en creux de la survivance et de l’instance morale.
Or, l’auteur renonce par moments à ses propres principes de neutralité. C’est le cas quand il relate les moments biographiques cruciaux d’autres captifs sous forme d’anecdotes, de récits de fin de vie, comme pour cet avocat de Gand du nom d’Antoine Van Hoorebeke63. Il semble que Calembert tranche la question de l’indicible ou de l’irreprésentable en représentant la souffrance concrète de prisonniers qui lui étaient proches64. Dans le contexte de Flossenburg, les anecdotes requièrent une signification symbolique. La description aseptisée du travail forcé, des punitions, des maladies et de l’infirmerie, ainsi que de nombreux autres aspects du camp forme la toile de fond sur laquelle ces récits de vies brutalement brisées par les nazis et de brutalités commises au camp sur les personnes65 déclenchent l’effet émotionnel du témoignage, évité ailleurs. Seul l’enchevêtrement du factuel et de l’affectif promet la naissance d’un savoir durable – c’est toute la différence avec un document dont la provenance biographique individuelle ne joue aucun rôle. Si l’on comprend la certification du vécu par l’écrit comme une relation exclusive à des faits devant être rapportés distinctement, on néglige le fait que le savoir historique de la déportation ne peut être saisi qu’au moment où la narration inclut la souffrance individuelle, et la souffrance des prisonniers et des prisonnières s’inscrit dans les textes dans les épisodes centrés sur d’autres biographies à l’aide des moyens stylistiques du récit : action étalée dans le temps, ancrage spatial, individualité de la personne, indications renvoyant à une instance narrative.
Comparés à l’âpreté de Flossenburg, d’autres récits sont plus faciles à « digérer » dans la mesure où ils ne parlent pas uniquement des atrocités, mais donnent de temps à autre l’occasion de reprendre haleine au cours de la lecture. Ces récits n’escamotent pas la subjectivité du point de vue, ils mêlent les descriptions, souvent présentées de manière moins sèche, aux anecdotes, sans en devenir moins concrets pour autant. L’horreur qui caractérise la vie des victimes dans les camps de concentration est contrebalancée par quelques moments de relâche et l’objectivité du récit n’est pas démontrée par l’absence d’un jugement propre. Ce jugement se nourrit à la fois des impressions ressenties durant la détention et des réflexions nées après la libération.
Le va-et-vient entre passé du vécu et présent de l’écriture caractérise tout récit mémoriel, mais les variations de ce principe sont multiples dans les récits du réseau concentrationnaire de Flossenbürg. Dans Mission en Thuringe, de l’ecclésiastique Paul Beschet, le narrateur se place au niveau du passé de manière à feindre une naissance du récit pendant la détention. La narration colle de très près aux événements. La distance de l’auteur se ressent néanmoins dans le langage ironique du narrateur. L’ironie, une ironie triste, devient un moyen permettant au locuteur et à l’allocutaire de supporter les atrocités les plus infâmes, moyen certes faible, mais offrant une possibilité de dire les choses les plus terribles au lieu de les taire :
Par moments, un Russe, costaud comme un fort des Halles, passe, traînant par les pieds un corps encore vif, à demi nu, et va l’achever près des W.-C., à coups de jets d’eau froide … Il faut bien nettoyer ! Ridicule, le cadavre attendra dans un coin le chargement quotidien qui, chaque matin, approvisionne le four crématoire. On en brûle ainsi une centaine par jour … Pourtant il en est qui vivent ! N’y a-t-il pas concert le dimanche sur la place d’appel ! Une sélection de Wagner, l’invitation à la valse de Weber était au programme l’autre jour. Il y a aussi des équipes qui disputent des matches de basket. Il y a, dit-on, une bibliothèque pour les Allemands. Il y a aussi un block, tout près de la place d’appel, pour les garçons de moins de 17 ans. Affectés au service des blocks, ils sont bien souvent contraints de satisfaire au plaisir des « Kapos ».
Tout est rationné !
Mais qui est encore vigoureux de corps ou d’esprit ? Celui qui mange. Et celui qui mange, pour manger, doit battre, tuer parfois, et toujours brimer ses compagnons de misère. Ici la Force crée son droit …
Seuls ceux qui ont vu peuvent croire. Mais quelle parole dira cette condition inhumaine lorsque ceux qui la connurent se sentirent seuls à la porter tout entière au fond d’eux-mêmes66 …
Le tempérament de Paul Beschet transparaît dans les propos ponctués de points d’exclamation. La référence aux Halles de Paris montre l’ancrage national et la réflexion sur le témoignage se nourrit du savoir de la Bible, devenant ainsi individuelle. « Seuls ceux qui ont vu peuvent croire » est plus qu’une revendication d’authenticité. Cette affirmation se rattache, au-delà des questions de véracité, aux discussions de témoignage et de foi dans la tradition chrétienne. Les faits relatés démontrent le renoncement à toute humanité aussi bien chez les autorités du camp que chez les kapos et les « prisonniers de fonction » (Funktionshäftlinge), chez les prisonniers « normaux », mais aussi par moments chez le locuteur. Voilà qui est choquant. Comme le destinataire cherche à être ému, mais ne désire pas être tourmenté outre mesure par le discours du témoin-narrateur, celui-ci atténue de temps à autre son discours par des réflexions morales pour interagir avec la lectrice ou le lecteur. Beschet recourt par exemple à des questions adressées à lui-même ou à des questions rhétoriques et aux points de suspension pour entamer un dialogue avec son public : « Le mal qui saute aux yeux divise. Notre amour sera-t-il plus fort que la mort67 ? » ou encore : « Faudra-t-il consentir à cette loi de la jungle, ou mourir lentement, sans mot dire, comme un pauvre petit mouton68 ? »
Tandis que le choix discursif du témoignage de Calembert produit des effets d’accablement qui peuvent bloquer la réception, les moyens linguistiques des récits de Paul Beschet, d’Eliane Jeannin Garreau, de Louis Poutrain et d’autres auteur_e_s facilitent la lecture. Ils sont conçus selon un principe d’équilibre : les données relatées étant déjà horribles, ébranler davantage les lecteurs par un discours hétérogène ou non-conforme aux usages dits objectifs et atténuants empêcherait le jugement propre du destinataire. Sont offerts au destinataire des commentaires, des jugements moraux, des signes de la subjectivité de l’instance narrative – mais avec modération.
Les premiers auteurs-témoins préfèrent une écriture facile favorisant une réception rapide. La rapidité est l’autre face de la sincérité intérieure de la personne de l’époque, transmise à l’extérieur, signe d’un rapport simple du vécu au vrai, du côté justifiable aussi par d’autres. L’« étrangéisation » du texte inhibe la lecture, en écho au vécu69, et par conséquent, elle devient signe de singularité pour celui qui le perçoit. Pour éviter l’effet d’une singularité isolée, il faut offrir une narration fluide. La perception ainsi formée en paroles se trouve à mi-chemin entre objectivité et subjectivité. Cet entre-deux est également recherché par d’autres. En général, la solution des auteur_e_s écrivant avec plus de distance par rapport à leur expérience consiste à mêler un style normatif « réaliste » et un ton ou un style a-normatif, fragmentaire par exemple, ou ironique. Nous l’avons vu dans le texte du Suisse Carl Schrade, qui opte pour l’ironie, peut-être aidé par la distance par rapport à l’Allemagne et par la langue française. Guy Coquempot décrit directement dans Dites adieu à votre fils l’effet que produit sur lui la violence des SS et ce, dans un style qui représente son expérience physique par une accélération rythmique conclue par trois syllabes monotones : « C’était une véritable débandade … La colonne était complètement disloquée, les plus résistants en tête tandis qu’à l’arrière, les plus âgés et les plus affaiblis peinaient sous les coups. Mes jambes faiblissaient, mes muscles tremblaient sous l’effort, et je ne sentais plus très bien le sol sous mes pas70. » Eliane Jeannin Garreau emploie souvent l’ironie et recourt à des moyens comparables à ceux de Calembert, mais avec une tendance plus marquée à glisser de la perception collective vers une perception singulière, à l’aide de techniques littéraires au sens traditionnel : « Pour le moment nous sommes dans un train de marchandises. Marchandise nous-mêmes. Dans des wagons à bestiaux, pour ne pas changer71. » Les idées sont celles du groupe et en même temps les idées de l’écrivain-témoin en train d’écrire dont parle Febvre dans sa conférence. La présentation est résolument subjective, adaptée à l’idée de la normalité de la personne qui parle comme au maniement actuel des mots72.
Les attentes attestant ce consensus transparaissent de temps à autre dans les paratextes des récits comme la Préface aux mémoires de Jeannin Garreau : « Le livre d’Eliane Garreau touchera profondément ses lecteurs car il décrit sobrement, simplement ce que pouvait être, au quotidien, la vie des déportées73 », écrit Charles Verny, président du Comité d’Action de la Résistance.
4. La structure et la restriction du champ de vision
Les auteurs des récits d’internement en camp de concentration sont conscients de l’attente d’objectivité et de « normalité ». Peter Kuon énumère les principaux processus de structuration des souvenirs permettant de ne pas compromettre les attentes communes du public intéressé : choix de souvenirs, établissement d’un ordre chronologique ou thématique, choix d’un début et d’une fin et « distinction des activités répétées, relevant du quotidien concentrationnaire, à résumer dans des chapitres synthétiques (une journée, les appels, la faim, le travail, etc.), des événements extraordinaires, à mettre en relief74 ». En plus de cette structure, les narrateurs qui se présentent comme des témoins fiables fournissent aussi la garantie de cette fiabilité au niveau stylistique. La structure et le style font référence au récit autobiographique chronologique relié à une instance narrative crédible où le locuteur parle avec distance du Je d’autrefois. En outre, le récit s’oppose au roman par la possibilité de présenter les faits plus ou moins pour eux-mêmes, sans obligation de construire un monde complexe, par la sobriété de la narration, avec une structure généralement claire, et par la présentation à la première personne. Il est linéaire, l’intrigue est présentée de façon concentrée, il progresse par étapes.
L’adaptation des critères du récit à l’idée du discours testimonial conduit souvent – mais pas toujours – à restreindre le champ narratif. Le narrateur ne rapporte fréquemment que ce qui est strictement lié à l’arrestation, à la déportation, à la détention et à la libération. Du point de vue chronologique, les étapes se ressemblent : l’arrivée, la douche, les mesures de quarantaine, le travail forcé, les punitions. Si la succession diffère et que les étapes ne sont pas celles mentionnées, l’ordre chronologique est malgré tout respecté dans la plupart des cas, par ex. chez Robert Olivier, Léon Calembert, Paul Beschet, Maurice Mazaleyrat ou Carl Schrade. Ce n’est pas le présent de la narration qui gouverne l’ordre du récit, ni les souvenirs spontanés, mais la tradition littéraire du récit autobiographique. De plus, on remarque que les récits mémoriels tardifs insèrent plus souvent la période d’arrestation, de déportation, de détention et de libération dans un récit plus ample incorporant des événements survenus depuis l’enfance et la jeunesse (comme le font Frania Eisenbach Haverland et Louis Poutrain dans La déportation au cœur d’une vie (1982), interprétant les années de souffrance comme des années cruciales, ce qui est bien compréhensible), même si ces années ne sont indiquées que brièvement et que la période est suivie par des descriptions et des réflexions concernant les années postérieures à la libération. Mentionnons à titre d’exemple Ombre parmi les ombres, Le serment de Kirrmann de Margraff et J’ai sauté du train. Gilbert Coquempot commence son récit par ses activités dans la Résistance, de même qu’Eliane Jeannin Garreau.
Si toutefois une auteure ou un auteur cherche moins à adapter son texte à l’effet de la narration continue, à l’idée du développement chronologique d’une histoire personnelle et collective qu’au besoin d’information systématique, il peut choisir un autre plan pour charpenter le récit, mais cette variante reste rare. C’est le cas de Karl Röder, un détenu allemand, dans Nachtwache : 10 Jahre Dachau und Flossenbürg (1985) et également de l’Autrichien Rudolf Kalmar dans Zeit ohne Gnade, écrit en 1945 et 1946. Le journaliste Kalmar fut lui aussi interné à Dachau et à Flossenbürg. Ces deux livres sont basés sur des textes brefs écrits après la libération des camps et réunis ensuite en un seul texte. Parmi les textes français, c’est à nouveau Flossenburg qui ne suit pas la séquence par étapes : Léon Calembert adopte l’attitude d’un témoin judiciaire en présentant ses expériences personnelles selon une structure analytique75. Cette structure préserve l’effet de rationalité malgré l’ordre non-chronologique par une disposition soulignant une neutralité d’observation systématique. Le rapport s’éloigne par là même des standards du récit autobiographique, faisant abstraction du calvaire individuel de son auteur tout en y intégrant un brin de poésie, et donc d’individualité, par la correspondance réciproque des titres de chapitres « Comment on vivait » et « Comment on mourait ».
La littérature autobiographique se limite d’habitude à l’histoire vécue par le sujet écrivant et aux espaces qu’il connaît. Le témoignage documentaire, assimilé au témoignage oculaire, se limite de plus au champ visuel. Le locuteur occupant la fonction de témoin oculaire ou judiciaire ne raconte que ce qu’il peut prouver par sa propre personne76. Il y ajoute parfois ce qu’il a entendu dire par d’autres, qui ont également une fonction de témoins, mais va rarement au-delà. Il est en outre le reflet de la vie au jour le jour, de la ferme intention de survivre, de l’épuisement, de la perte des repères spatio-temporels, bref des conditions de vie en général77.
Cette restriction du champ – tout à fait compréhensible en soi – a pour conséquence que certains n’évoquent presque jamais ce qui se passe ailleurs, au-delà du camp, ni leurs pensées qui franchissent les barbelés. Cette mise à l’écart du monde extérieur correspond en partie à l’interdiction de rêver à une vie ultérieure78. En effet, il est exceptionnel que les auteur_e_s rescapé_e_s du réseau concentrationnaire de Flossenbürg relatent comment ils parvenaient à dépasser mentalement la vie du camp. Le plus souvent, c’est la nature qui les incite à penser à la famille et aux amis. Voici la manière dont Gilbert Coquempot rapporte un tel souvenir :
Pendant ces longues attentes durant l’appel, dans le silence de la nuit, je pensais surtout à mes parents et à mes frères et sœurs. Lorsque le ciel était clair, je fixais une étoile, celle qui brillait le plus, ou bien la lune lorsque celle-ci se montrait. Je me disais que peut-être, à cet instant, mon père ou ma mère pouvai[en]t eux aussi regarder cette étoile qui devenait alors un trait d’union, puisque nos regards pouvaient converger en un même point79.
L’étoile devient une charnière à l’intersection de la vie du détenu et de sa famille, du pays lointain où il se trouve et de son pays natal, l’éclat de l’étoile symbolisant aussi l’espoir d’un avenir meilleur. La fonction rassurante de la nature se fait jour également dans les poèmes de Lucienne Laurentie, internée à Holleischen80. Le champ de vision est d’ailleurs moins limité pour celles ou ceux qui se trouvaient dans les camps annexes. Le rapport au monde extérieur à l’institution y est évoqué un peu plus souvent. Roger Boulanger, travailleur forcé affecté aux Erla-Werke dans la construction aéronautique, en donne un exemple :
Les équipes de nuit durent souvent, au matin, après douze heures de travail, participer à des corvées de déneigement dans la ville. Quelle aubaine : malgré le surplus d’énergie exigé, être pour quelques heures dans le monde civilisé. Je me souviens du regard attendri que nous jetions, jeunes et vieux, sur ces enfants qui, dans les rues enneigées, se rendaient à l’école accompagnés de leurs parents. Cette parenthèse nous parut merveilleuse. Encore que pour moi, qui étais le seul parmi les déneigeurs à comprendre l’allemand, il y eut un moment de désenchantement. Une petite fille s’arrêta devant nous et, étonnée à la vue de nos rayés, dit à son père : « Regarde, papa, ce sont des bagnards, Sträflinge ! » Je lui ai répondu, comme dans un réflexe, comme si je cherchais une reconnaissance : « Des détenus, Häftlinge ! », mais elle n’a pas dû saisir la différence81.
Le contact avec le monde extérieur a du bon, mais Boulanger mentionne également son côté douloureux. Rares sont ces réflexions contrastives démantelant le fonctionnement de la dictature et l’emprise de l’idéologie antihumaniste. La réflexion sur le temps de la détention rapportée par Rudolf Kalmar représente sans doute l’une de ces exceptions : après le récit particulièrement horrible de la torture des détenus par des SS qui obligent les prisonniers faméliques, amaigris et à bout de forces à se rouler dans la boue et la neige, Kalmar écrit :
Ainsi nous nous traînions, trempés, affamés, malades et misérables à en perdre tout espoir, jusqu’à notre travail dans la carrière entièrement couverte de neige.
Tandis qu’à Vienne, peut-être le même jour, sur telle ou telle scène, les flûtes de champagne tintaient en s’entrechoquant et de belles femmes ondulaient des hanches82.
Ces pensées traduisent la personnalité de Kalmar, peu conventionnelle même dans le mode du récit mémoriel des camps, car en introduisant l’opposition entre le camp de Flossenbürg et le luxe de la vie à Vienne, l’auteur franchit le seuil de la décence et de la limite morale consistant à ne rapporter que ce qui se passe dans le camp même ou dans la vie du déporté. Il attaque le lecteur en rejetant l’idée habituelle du témoin calme et contrôlé, il offense le lecteur non-interné qui menait une vie « normale », il attaque ceux pour qui tout allait bien lorsque les autres étaient torturés, assassinés physiquement et moralement. Il ne répond pas au concept implicite de restriction et de modestie par rapport à la société contemporaine.
5. Les pronoms « je », « nous » et « on »
Les contours de l’instance narrative et la rhétorique discursive attestent du sérieux du projet du témoignage. Pour être pris au sérieux par l’historien ou l’historienne, le témoin doit relater des événements touchant une personne connue ou un grand nombre de gens83. Le témoin-survivant témoigne de l’humiliation et de la mort brutale de milliers d’êtres humains. C’est aussi pour d’autres raisons que le pronom choisi le plus souvent est le « nous », signalant cette position de l’auteur au sein du groupe, sa modestie par rapport à la destruction systématique des êtres humains, sa fonction de narrateur surtout pour ceux qui sont morts. Rares sont les récits sans prépondérance du « nous », surtout jusqu’aux années 1980. Il y a cependant différentes manières de répartir les « nous », les « on » et le « je » ‒ l’emploi des pronoms dans les textes mémoriels ou testimoniaux a fait l’objet de nombreuses discussions entre chercheurs en littérature. L’Espèce humaine de Robert Antelme est connu pour son refus du « je », procédé littéraire répondant ainsi à la désubjectivation. Le public se montra interloqué et peu satisfait. Il n’y a pratiquement qu’un seul passage au cours duquel Antelme prononce un « je »84. Calembert y renonce également dans Flossenburg durant les deux premiers tiers du texte avec pour conséquence que le même effet répulsif s’impose quand on lit le texte d’un trait. Au début, il choisit la perspective d’un narrateur omniscient et jette un regard extérieur sur le groupe dont il faisait pourtant lui-même partie, délaissant « nous » ou « on », pour leur préférer « ils ». Il prend ainsi un maximum de distance dans ce passage essayant de restituer la montée des prisonniers vers le village de Flossenbürg et le camp voisin, et leur ignorance de « l’univers concentrationnaire » qui les attend :
Un matin de janvier 1945, soixante captifs enchaînés deux à deux, descendaient d’un train dans la petite gare perdue de Floss, en Bavière du Nord. Leur voyage avait duré trois interminables jours, trois nuits plus interminables encore, sans boisson, sans sommeil, avec les menottes qui entraient comme des lames dans la chair gonflée des poignets. Voyage exténuant d’hommes tenaillés par leurs inquiétudes et ressentant chaque tressaillement de leur compagnon de chaîne en proie aux mêmes angoisses.
[…]
Sur la route de Floss, dans la neige, traînant de leur main libre le pesant barda de vêtements, de linge et d’objets hétéroclites, qui leur avait été rendu intégralement au départ contre reçu signé par eux, soixante prisonniers allaient vers l’inconnu, avançaient sous les coups de crosse et les injures, le long de la route montante.
[…]
Le bruit courait d’un rang à l’autre, qu’un gardien avait dit : « J’ignore où vous êtes transportés … mais le pénitencier, ici, aura été un paradis comparé au lieu où l’on vous envoie. Vous pleurerez Ebrach ! »
A peine sortis de la petite ville déserte, ils gravissaient de raides chemins. Quand, à un palier, ils se redressaient pour respirer et jeter un regard autour d’eux, ils découvraient les étendues de la Haute Franconie, un paysage ingrat et froid, une contrée que ses habitants eux-mêmes ont désertée en masse pour émigrer vers Munich et les cités voisines85.
La perspective narrative semble réduite dans ce récit à un regard planant au-dessus des détenus. Pourtant, le savoir des lecteurs fait implicitement partie de la composition linguistique de ce morceau narratif qui, loin de livrer dès le commencement la fin horrible de l’histoire, joue avec ce savoir. Le récit recourt de plus aux techniques du pathétique en intégrant maintes répétitions (« soixante », « trois », « sans », etc.). Il résulte de l’idée du témoignage « neutre » et des conditions de détention que le rapport entre le témoignage et ses références n’est pas simple86, surtout dès qu’on décide d’accepter le critère d’une objectivité rigoureuse87, et que ce critère entraîne quelques contradictions. La mise en abyme de la terreur à travers la phrase crachée par le gardien « Vous pleurerez Ebrach ! » accroît l’effet de suspense et délègue à ce personnage le rôle d’informer cyniquement le lecteur du sort néfaste des protagonistes du texte.
Il y a plusieurs raisons au refus du « je ». Un auteur qui ne l’énonce pas ne peut pas être retrouvé ni attaqué. Il entreprend la « réparation » de son identité ailleurs que dans le texte. A la prise de distance vis-à-vis des traumatismes vécus et à la discrétion de l’auteur d’un rapport s’ajoute la volonté de recueillir les souvenirs le plus simplement possible dans un souci de « refus du spectaculaire »88. Même si les rescapés soulignent la chance qu’ils ont eues89, sans une force particulière et donc personnelle, ils n’auraient pas survécu. Anny Dayan Rosenman souligne pour les textes de survivants de la Shoah : « […] bien qu’elle constitue un des aspects du processus de survie, cette dimension de résilience est rarement présentée dans les textes de témoignage. […] [L]’écriture […] perpétue le lien de fidélité et de douleur avec les disparus90. »
Dans la plupart des textes analysés ici, le « nous » englobe le « je ». Le « nous » et le « on », qui penchent plus vers l’objectivité, car on ne se permettra pas d’énoncer une erreur en disant « on », sont équilibrés par quelques « je », dans ce même ordre : d’abord « nous » et « on », ensuite « je ». La distance intellectuelle par rapport aux événements et la distance temporelle semblent faciliter l’utilisation du « je ». Les auteur_e_s attachent plus d’importance à l’individualité, au Moi comme personnage principal et à la subjectivité de la parole. Léon Calembert n’utilise que rarement le « je », parfois même absent des épisodes qui le concernent directement, comme nous l’avons indiqué. Paul Beschet utilise le pronom personnel de la première personne dans plusieurs constructions passives, un procédé intéressant. Carl Schrade commence souvent par les expériences partagées avec les autres et passe ensuite à son jugement personnel de la situation, généralement exprimé ironiquement. L’ironie détermine aussi la manière de marquer la subjectivité dans Ombre parmi les ombres d’Eliane Jeannin Garreau. Guy Coquempot fait la différence entre les expériences du groupe et ses impressions, qui ne sont pas des jugements. Sa personnalité s’impose assez nettement dans le texte, mais elle est constamment atténuée par les indications de doutes et d’incertitudes qui peuvent être compris comme des signes de subjectivité. Coquempot publie ses souvenirs assez tard, en 2009. Il révèle sa fierté d’avoir survécu à la violence de masse des nazis à son égard, lui qui était un « déporté-résistant ». Odette Spingarn raconte ses expériences en se référant explicitement à ses expériences personnelles durant la détention et par la suite, jusqu’à l’époque actuelle. La parution de J’ai sauté du train date de 2012. Comme dans le cas de Dites adieu à votre fils de Coquempot le témoignage oral a été un stade préliminaire à la publication du récit autobiographique91, mais cela est bien plus visible chez Spingarn. La différence entre les récits de la Shoah et ceux émanant d’autres configurations historiques, par ex. la résistance politique de persécutés non-juifs, est considérable. Les récits de l’expérience du génocide d’Odette Spingarn et de Frania Eisenbach Haverland, ainsi que celui, majoritairement oral92, du sculpteur et dessinateur Shelomo Selinger sont tout à fait spécifiques et mériteraient une étude plus approfondie que les quelques mots de cet article.
Dans les textes en question, l’individualité est attribuée aux victimes mortes de la déportation, de la détention et des crimes des assassins. L’effet a été évoqué à propos du Flossenburg de Calembert. Louis Poutrain se sert d’un moyen similaire en reliant son premier lundi au camp de Flossenbürg au sort d’un détenu français du nom de La Rochefoucauld, au mépris des morts et au comportement d’un kapo dégénéré et sadique, incarnant de la sorte le système de brutalité et de dédain dans lequel se trouvent les hommes livrés à la merci des SS et de leurs complices. L’anecdote se grave dans la mémoire puisqu’elle représente « l’initiation » à l’atmosphère de cruauté et d’assassinat régnant à Flossenbürg en 1944, tout en étant relatée assez laconiquement. Elle contient quelques allitérations (« déposer délicatement », « le préposé se précipita ») et illustre le fossé entre la vie normale et la vie au camp par l’élaboration de la description, y compris dans le lexique et la syntaxe, qui jure avec la bassesse de l’événement. L’interprétation émane aussi de la comparaison de la « brute » avec des illustrations de diables médiévaux :
Durant mon séjour dans le petit camp, je fus astreint à des corvées occasionnelles. Le 29 mai, le premier lundi passé dans ce camp, je fus requis pour aller avec un camarade porter un cadavre au crématoire, à l’extrémité du camp, sur les pentes d’un ravin. Arrivés, nous amorcions le geste de déposer délicatement notre civière quand le préposé [un kapo, I.v.T.] se précipita. Saisissant brutalement la civière par son milieu, il l’agita fortement et fit valser par terre le cadavre comme s’il s’agissait d’un tas de cailloux. Puis, sans se baisser, de son pied, il fit tourner le corps afin de lire les inscriptions faites au minimum sur la poitrine : la lettre F et le nom « La Rochefoucauld ». Nous avons vu alors cette brute se transformer en véritable démon. S’il avait eu un trident dans les mains, il eût reproduit le diable tel que le dessinaient sous nos yeux les images du Moyen Age. Il sautillait autour du cadavre en esquissant un pas de danse, celui de la carmagnole. Il se frottait les mains pour accentuer sa joie et il répéta à deux ou trois reprises l’expression Kapitalist franzouse. Avant de nous laisser partir, il nous enjoignit de l’aider à enfourner le cadavre. Dès mon retour en France, je suis allé saluer la veuve. Elle habitait à Paris. Il me fut facile de constater que cette famille était de condition modeste93.
La fin de l’anecdote indique le retour à la vie d’un citoyen libre. Poutrain sait parler de manière sobre et calme des ces événements horribles, la famille recherchée est une famille « normale » et le paragraphe se termine sur le mot « modeste ».
6. Ecritures en écho, évolution des publications
L’exigence de référentialité veut que le récit relate un passé concret et vérifiable par d’autres. L’idée de vérité gouvernant cette conception est souvent assez limitée94, mais la réalisation narrative n’en souffre pas forcément. Les auteur_e_s se servent de modes d’expression assez libres, peut-être même parfois à leur insu. Les critiques du témoignage, reprises dans les discussions concernant les possibilités de vérification du passé dans les témoignages – on pense à la discussion autour des textes des rescapés des camps, menée par ex. par James E. Young, Catherine Coquio, Philippe Mesnard, Mona Körte, Peter Kuon, Dori Laub, Shoshana Felman, Pascaline Lefort, Anny Dayan Rosenman parmi tant d’autres – ne minimisent pas l’enrichissement de notre savoir par la référentialité des textes. Les auteur_e_s tiennent à donner des preuves de ce qu’ils on vu, vécu et compris. Le souci du chiffre démontrant la volonté d’exactitude se remarque surtout dans les premiers textes, ceux de Léon Calembert et de Paul Beschet. Il se perd un peu dans les récits plus récents, qu’il ne faut pourtant pas analyser de façon isolée. Les récits ou témoignages tardifs répondent aux rapports d’après-guerre. Ils confirment ce qui a été affirmé auparavant, ils trouvent leur place à côté des écrits des autres, ils complètent les informations données ailleurs, ils sont dans l’ensemble plus généreux quant aux commentaires, ils prennent un ton qui n’est justement pas neutre.
On peut alors constater que les récits autobiographiques étudiés misent plus sur une façon élaborée de s’exprimer – la qualité littéraire – et sur les effets de narration établis que sur l’idée de prouver par la sécheresse linguistique la véracité du raconté. Les textes de Gilbert Coquempot, Eliane Jeannin Garreau, Louis Poutrain, Maurice Mazaleyrat, Odette Spingarn ou Henri Margraff ne se plient pas à la loi d’une véracité à jamais inaccessible et irréalisable, même avec la sécheresse d’une chronique, et tiennent au contraire tout autant à capter l’attention des lectrices et lecteurs par des moyens déjà cultivés auparavant : de même qu’ils respectent l’idée de transmettre leurs expériences de manière claire et sincère, de même leurs modes d’expression remanient ces moyens cultivés. Par proximité avec le témoignage judiciaire ou par choix personnel, il est tout à fait compréhensible qu’une auteure ou un auteur opte pour un certain recul dans la présentation des événements. Ceci vaut sûrement pour Flossenburg de Léon Calembert, écrit peu de temps après la fin de la guerre dans le souci de livrer un témoignage proche de ceux qui nourrissaient les réquisitoires contre les nazis dans les procès de l’après-guerre. Mais lui-même, comme d’autres, remanièrent leurs esquisses et écrits d’après-guerre, signe non seulement d’un ajustement du contenu, mais aussi d’un souci stylistique.
Le mode de lecture de notre temps provient de la littérature réaliste du XIXe siècle. Le scénario « intérieur » du lecteur est assimilé au style narratif du réalisme, et chaque auteur_e est aussi lecteur ou lectrice. Il ou elle connaît les lois implicites et s’y réfère pour conférer une autorité et, plus important, un sens au récit mémoriel du camp. Les attentes font que celui-ci fonctionne sur le mode de la chronologie, avec des liaisons spatiales et une structuration des événements se formant au gré des étapes, des détails intégrés dans des événements plus vastes, l’insertion d’un nombre plutôt limité de dialogues et d’anecdotes exemplaires95. Mais la liberté d’écriture se trouve dans les nuances, le vécu individuel est inséparable de l’écrit. Chaque mot en parle. Même si la disposition des éléments, les procédés établis au fur et à mesure des textes et l’association habituelle de la narration à un style « clos » (phrases complètes, images connues, bientôt conventionnalisées comme celle du « bétail », qui permet une approbation sans réserves de la part du destinataire, et aussi un lexique connu parsemé de mots allemands), l’impact du texte se joue au niveau de la liaison entre l’individuel et le culturel, qui atteint une limite du concevable incitant à répondre au défi constitué par l’analyse de la violence des camps de concentration, de la violence humaine dirigée contre des êtres humains. Les formes de cette analyse et de la thématisation du sujet de la déportation et de la détention changent. On constate de plus en plus de témoignages assistés, comme par ex. celui de Frania Eisenbach Haverland, emprisonnée à Zschopau et condamnée au travail forcé comme Odette Spingarn, ou encore celui de Jack Terry (témoignage en collaboration avec Alicia Nitecki), et des formes mixtes telle la publication de la famille de Marcel Letertre, Notes de déportation (2005) ou bien celles d’Annick Bezard Cano et d’Alain Quillévéré96.
Les deux livres J’ai sauté du train – dont le sous-titre est Fragments – et Notes de déportation sont composés de textes très divers, incluant des photographies, des fac-similés, des lettres, des cartes géographiques, des transcriptions, des extraits. Les titres des récits autobiographiques signalent un changement de perspective : J’ai sauté du train et Tant que je vivrai mettent l’accent sur l’individualité dans une perspective nouvelle, l’activité de la prisonnière, ou plutôt de la prisonnière d’autrefois. Les titres sont le signe de leur autonomie et de leur souveraineté, aussi indestructibles durant la détention qu’au moment de l’écriture de ces récits. Ce n’est plus le lieu qui est mis en avant – comme dans le cas de Flossenburg de Calambert et de Flossenburg – Arbeit macht frei de Maurice Mazaleyrat –, ce n’est plus un point de vue généralisant – Mission en Thuringe (Beschet) –, ni celui plus distancié des « Mémoires ». Mais ce que véhicule un tel changement de titres est d’une part moins fondamental qu’on ne pense : l’individu a toujours été présent, de même que la lucidité du savoir relatif aux défaillances et au potentiel de l’écrit et de la parole. Les nouvelles formes signalent d’autre part une plus grande souplesse par rapport au genre, notamment une liberté nouvelle faisant coexister les atouts du témoignage oral, du témoignage documentaire et du récit mémoriel de son propre vécu, et aussi de la collaboration avec des membres de la famille ou des chercheurs, afin d’intéresser un public qui n’est plus celui de l’après-guerre ni du dernier tiers du XXe siècle. C’est aussi une autre génération, appelée à prendre en charge désormais la diffusion du savoir, comme le dit François Kirrmann, petit-fils d’Albert Kirrmann, le professeur d’Henri Margraff :
Cette histoire est aussi la nôtre. C’est à notre génération de transmettre les témoignages de nos aïeux. Pour l’Histoire, mais aussi pour appréhender comment ils ont développé leurs ressources pour la sublimer et vivre, re-naître ensuite97.
Corpus de recherche : choix de récits français en rapport avec le réseau concentrationnaire de Flossenbürg
Beschet, Paul. Mission en Thuringe : au temps du nazisme. Paris : Editions Ouvrières, 1989 [1946].
Bessière, André. L’engrenage : « Ils avaient une certaine idée de la France ». Paris : Buchet-Chastel, 1991.
———. D’un enfer à l’autre : ils étaient d’un convoi pour Auschwitz. Paris : Buchet-Chastel, 1997.
———. Destination Auschwitz avec Robert Desnos. Paris : L’Harmattan, 2001.
———. Revivre après : l’impossible oubli de la déportation. Paris : Félin, 2006.
Bezard Cano, Annick. Ma vie vous appartient : les choix d’un officier francais, 1906–1945. Paris : Editions Christian, 2003.
Bommelaer, Michel. Michel Bommelaer en ces années là. Sans lieu, 2003.
Boulanger, Roger. Un fétu de paille dans les bourrasques de l’histoire. Metz : Editions Serpenoise, 2007.
Calembert, Léon. « Flossenburg ». Dans Au camp de Flossenbürg (1945) : témoignage de Léon Calembert. Ed. par Gie van den Berghe. Etablissement du texte et notice biographique par Jean-Louis Kupper. Bruxelles – Brussel : Palais des Académies – Paleis der Academiën, 1995.
Coquempot, Gilbert. Dites adieu à votre fils : mémoires d’un déporté-résistant, 1939–1945. Témoignage. Paris : Thélès, 2009.
Eisenbach Haverland, Frania et Dany Boimare. Tant que je vivrai : Tarnów, Plaszów, Birkenau et autres lieux. Paris : Editions Edité, 2011 [2007].
Epelbaum, Didier. Matricule 186 140 : histoire d’un combat. Boulogne-Billancourt : Hagège, 1997.
Geoffroy, Jean. Au temps des crématoires … : pour ne pas oublier … (Cavaillon : Imprimerie Mistral, 1948). Clamecy : sans éditeur, 22005.
Hoebeke, Léon. Destination la mort : convoi du 27-4-44. Récit authentique. Paris : Debresse, 1977.
Jeannin Garreau, Eliane. Les Cris de la Mémoire : Ravensbrück-Holleischen 1943–1945. Paris : chez l’auteure, 1994.
———. Ombre parmi les ombres : chronique d’une Résistance (1941–1945). Issy-les-Moulineaux : Muller édition, 1991.
Laurence, Robert. « Souvenirs de la Déportation avec Robert Desnos », Europe : Revue Littéraire Mensuelle 517-518 (1972) : 138–144.
Laurentie, Lucienne. Ô Terre De Détresse. Wolfville : Les Editions du Grand Pré, 1992.
Letertre, Marcel et Patrick Simon-Letertre. Notes de déportation. Bièvres : Association Marcel & Geneviève Letertre, 2005.
Margraff, Henri. « La vie à Flossenbürg ». Dans De l’Université aux Camps de Concentration : témoignages strasbourgeois. Dir. par Olga Wormser et Henri Michel, 287–296. Paris : Ed. Ophrys, Publications de la faculté des lettres de l’université de Strasbourg, hors série, 1947.
———. Le serment de Kirrmann : chronique d’une guerre ordinaire. Auschwitz – Buchenwald – Flossenbürg. Colmar : Do Bentzinger, 2009.
Mazaleyrat, Maurice. Flossenburg : Arbeit macht frei. Brive : Imp. Chastrusse, 1987.
Menez, Jean et Daniel Moysan. Mémoires de captivité 1943–1945 : récit. Paris : Thélès, 2007.
Michel, André. Mes Moires : la jeune fille et la mort d’après le récit de Claude Michel, née Chauvet, déportée de la Résistance française : souvenirs des camps de concentration de Ravensbrück et de Zwodau. Gentilly : A. Michel, 1995.
Millet, Lucien et Lydie Millet, éds. Camille Millet (Vertus 1922 – Flossenburg 1945) : un des cinquante, une des victimes du décret de persécution nazi du 3 décembre 1943 contre l’apostolat catholique français à l’œuvre parmi les travailleurs requis en Allemagne 1943 – 1945. Pommeuse : La croix d’immortelles, 1995.
Olivier, Robert. Camp de Flossenbürg : Robert Olivier – F26875. Sans lieu ni date ; manuscrit non publié, écrit quelque temps après la libération 1945.
Poutrain, Louis. La déportation au cœur d’une vie. Paris : Éditions du Cerf, 1982.
Quillévéré, Alain. Mémoire retrouvée d’un jeune Patriote : Alfred Bihan. Landebaëron – Flossenbürg. 1917–1945. Préface de Denis Peschanski. Morlaix : Skol Vreizh, 2008.
Randey, Paul. Ma Déportation : 17 mars 1944–29 juin 1945. Sans lieu ni date.
Rohmer, Francis. « Le convoi de la mort », dans De l’Université aux Camps de Concentration : témoignages strasbourgeois. Dir. par Olga Wormser et Henri Michel, 57–66. Paris : Ed. Ophrys, Publications de la faculté des lettres de l’université de Strasbourg, hors série, 1947.
Roux, Catherine. Triangle Rouge. Avant-propos de Geneviève Anthonioz-de Gaulle. Dessins originaux de Jeannette L’Herminier. Genève : Famot, 1977.
Schrade, Carl. Le Vétéran : onze ans dans les camps de concentration. Paris : Fayard, 2011.
———. Elf Jahre : ein Bericht aus deutschen Konzentrationslagern. Göttingen : Wallstein, 2014.
Soudan, Jean. Flossenbürg : matricule 43.400. Un lycéen roubaisien dans la tourmente 1940–1945. Sans lieu ni date.
Spingarn, Odette. « Flucht auf dem Todesmarsch von Zschopau/Sachsen ». Dans Ihrer Stimme Gehör geben : Überlebendenberichte ehemaliger Häftlinge aus dem KZ Flossenbürg. Dir. par Bernhard Füßl et Sylvia Seifert, 107–121. Bonn : Pahl-Rugenstein Verlag, 2001.
———. J’ai sauté du train : fragments. Paris : Editions Le Manuscrit, 2012.
Volmer, Pierre. « Avec Desnos à Flöha ». Dans Robert Desnos, dir. par Marie-Claire Dumas, 374–381. Paris : Editions de l’Herne, 1987.
Gilbert Coquempot, Dites adieu à votre fils : mémoires d’un déporté-résistant, 1939–1945. Témoignage (Paris : Thélès, 2009), 161–162. – Je tiens à remercier expressément le Mémorial du camp de concentration de Flossenbürg pour sa coopération et son aide dans ma recherche des récits mémoriels en langue française, son soutien dans la prise de contact avec les anciens détenus encore en vie, ainsi que sa disponibilité de tous les instants pour fournir des informations et apporter une assistance bibliographique incluant la constitution du corpus de l’étude de textes français portant sur le réseau concentrationnaire de Flossenbürg.↩
Coquempot, Dites adieu à votre fils, 13.↩
Cf. Toni Siegert, « Das Konzentrationslager Flossenbürg : Gegründet für sogenannte Asoziale und Kriminelle » dans Bayern in der NS-Zeit, 6 vol., dir. par Martin Broszat, Elke Fröhlich et Anton Grossmann, vol. 2 (München – Wien : Oldenbourg, 1979), 429–492 ; Gie van den Berghe, « Introduction », dans Au camp de Flossenbürg : témoignage de Léon Calembert, dir. par Gie van den Berghe (Bruxelles – Brussel : Palais des Académies – Paleis der Academiën, 1995), XXI–LI ; Jörg Skriebeleit, « Flossenbürg – Hauptlager », dans Flossenbürg : das Konzentrationslager und seine Außenlager, dir. par Wolfgang Benz et Barbara Distel (München : C.H. Beck, 2007) ; Konzentrationslager Flossenbürg 1938–1945 : Katalog zur ständigen Ausstellung, dir. par KZ-Gedenkstätte Flossenbürg, Stiftung Bayerische Gedenkstätten (Göttingen : Wallstein, 2008) ; Jörg Skriebeleit, Erinnerungsort Flossenbürg : Akteure, Zäsuren, Geschichtsbilder (Göttingen : Wallstein, 2009).↩
Cf. à ce sujet l’article de J. Skriebeleit dans cette section, « De l’exploitation des carrières de granit au réseau concentrationnaire : le camp de concentration de Flossenbürg », Romanische Studien 2 (2015).↩
Peter Kuon, L’écriture des revenants : lectures de témoignages de la déportation politique (Paris : Éditions Kimé, 2014), 184–185.↩
Coquempot, Dites adieu à votre fils, 186. Cf. ibid., 178, 187, 189–190 (solidarité entre camarades).↩
Cf. Coquempot, Dites adieu à votre fils, 187 : « Il y avait souvent un Russe ou un Polonais, plus “costaud” que les autres, qui bousculait tout le monde et s’emparait de ce que l’on considérait comme “notre” gamelle. L’homme est ainsi lorsqu’il a faim … » ; cf. ibid., 201 : « Parmi nos camarades, il y avait un Russe âgé d’une cinquantaine d’années qui parlait assez bien le français, langue que l’on apprenait dans toute sa famille nous disait-il. […] [C]haque fois qu’il le pouvait, il se mettait derrière moi pour le transport des rails, si bien que je ne portais pour ainsi dire presque rien … »↩
Cf. Odette Spingarn, J’ai sauté du train : fragments (Paris : Editions Le Manuscrit, 2012).↩
Eliane Jeannin Garreau, Ombre parmi les ombres : chronique d’une Résistance 1941–1945 (Issy-les-Moulineaux : Muller Édition, 1991), 61. Cf. ibid., 22–23, 46–47 (séjour à Ravensbrück).↩
Jeannin Garreau, Ombre parmi les ombres, 67. Pour la perception des différences de comportement entre les Français et les autres nationalités : Beschet, Mission en Thuringe, 194–195.↩
Jeannin Garreau, Ombre parmi les ombres, 11. Cf. ibid., 27.↩
Jeannin Garreau, Ombre parmi les ombres, 61. Cf. Spingarn, J’ai sauté du train, 77 : « Toutes ces camarades furent mon entourage quotidien, choisies parce qu’elles étaient francophones. »↩
Jeannin Garreau, Ombre parmi les ombres, 61.↩
Jeannin Garreau, Ombre parmi les ombres, 61.↩
Jeannin Garreau, Ombre parmi les ombres, 61.↩
Jeannin Garreau, Ombre parmi les ombres, 99.↩
Jeannin Garreau, Ombre parmi les ombres, 27, 33, 79.↩
Paul Beschet, Mission en Thuringe au temps du nazisme (Paris : Les Editions ouvrières, 1989), 175 (édition de 1946 remaniée).↩
Cf. Spingarn, J’ai sauté du train, 51.↩
Beschet, Mission en Thuringe, 183.↩
Jeannin Garreau, Ombre parmi les ombres, 93.↩
Jeannin Garreau, Ombre parmi les ombres, 93.↩
Henri Margraff, Le serment de Kirrmann : chronique d’une guerre ordinaire. Auschwitz – Buchenwald – Flossenbürg (Colmar : Do Bentzinger Editeur, 2009), 157–158. Jean Knall-Demars était l’ami intime de Schrade, cf. Carl Schrade, Le Vétéran : onze ans dans les camps de concentration, présenté par Fabrice d’Almeida (Paris : Fayard, 2011), dédicace. Cf. également Henri Margraff, « La vie à Flossenbürg », dans De l’Université aux Camps de Concentration : témoignages strasbourgeois, dir. par Olga Wormser et Henri Michel (Paris : Ed. Ophrys, 1947), 287–296, et Léon Hoebeke, Destination la mort : convoi du 27-4-44. Récit authentique (Paris : Debresse, 1977).↩
Sur cet aspect du camp de Flossenbürg, cf. Skriebeleit, « De l’exploitation des carrières de granit ».↩
Coquempot, Dites adieu à votre fils, 162.↩
Beschet, Mission en Thuringe, 177. Pour l’analyse des récits de Beschet et de Louis Poutrain, cf. Regina Schuhbauer, « Französische Geistliche im KZ-System Flossenbürg : Paul Beschets “Mission en Thuringe”, Raymond Crétins “Carnets de déportation” und Louis Poutrains “La déportation au cœur d’une vie” im Vergleich », Mémoire de fin d’études, Chaire de littérature française et italienne de l’Université de Ratisbonne, Regensburg, 2013.↩
Cf. Coquempot, Dites adieu à votre fils, 179.↩
Coquempot, Dites adieu à votre fils, 161–162.↩
Schrade, Le Vétéran, 158.↩
Schrade, Le Vétéran, 199.↩
Cf. Schrade, Le Vétéran, 47 : « Cet excellent propagandiste des méthodes nazies, ce délicieux ‘pédagogue’, vendait le fruit de notre travail au marché noir. Pour récompense de nos sueurs et de nos peines, il apportait à certains quelques pintes d’alcool frelaté : ainsi nous pouvions apprécier à sa juste valeur la rééducation morale attentive et si riche en égards dont nous étions l’objet. »↩
Jeannin Garreau, Ombre parmi les ombres, 62.↩
Cf. Andrea Reiter, „Auf daß sie entsteigen der Dunkelheit“ : die literarische Bewältigung von KZ-Erfahrung (Vienne : Löcker Verlag, 1995), 145 et 154. Sur les processus linguistiques, cf. également Hannele Kohvakka, Ironie und Text : zur Ergründung von Ironie auf der Ebene des sprachlichen Textes (Frankfurt a.M. : Peter Lang, 1997) ; Martine Bracops, Introduction à la pragmatique : les théories fondatrices. Actes de langage, pragmatique cognitive, pragmatique intégrée (Bruxelles : De Boeck, 2006).↩
Van den Berghe, « Introduction », XXIII.↩
Cf. par ex. Robert Olivier, Camp de Flossenbürg : Robert Olivier – F26875 (sans lieu : manuscrit, écrit quelques mois après la libération en 1945) ; cf. aussi Léon Calembert, Flossenburg, dans Au camp de Flossenbürg : témoignage de Léon Calembert, éd. par Gie van den Berghe (Bruxelles – Brussel : Palais des Académies – Paleis der Academiën, 1995), [7]–92 ; Coquempot, Dites adieu à votre fils ; Schrade, Le Vétéran.↩
Jeannin Garreau, Ombre parmi les ombres, 92.↩
Cf. par ex. Annick Bezard Cano : Ma vie vous appartient : les choix d’un officier français, 1906–1945 (Paris : Editions Christian, 2003), propos de Pierre Eudes, 174 : « Les Français n’étaient pas aimés, nous étions en permanence traités de cochons ». Cf. également Coquempot, Dites adieu à votre fils, 179.↩
Jeannin Garreau, Ombre parmi les ombres, 117 : « J’étais un déchet, un rebut, une ordure abreuvée d’injures et d’humiliations. Aujourd’hui j’ai retrouvé mon nom, ma dignité, une place d’honneur dans le monde des hommes. ».↩
Schrade, Le Vétéran, 123.↩
Cf. Manuel Becker, « Die Rolle von Feindbildern in der nationalsozialistischen Ideologie », dans Der Umgang des Dritten Reiches mit den Feinden des Regimes, dir. par Manuel Becker et Christoph Studt (Berlin : Lit, 2010), 25–42, 31. Cf. aussi le passage suivant du Vétéran, 188 : « Il faut croire que dans ces conditions les SS étaient de bien mauvais serviteurs de l’État et du Führer, puisqu’ils violaient quotidiennement son ordre. Mais n’oubliez pas que jamais un détenu n’est battu ni assassiné par un SS sans que ce dernier n’ait un solide prétexte à justifier dans son rapport : le détenu était un homme dangereux qui menaçait la vie du bon et loyal soldat […], qui cherchait constamment à saboter le travail qu’on lui confiait et n’avait d’autre souci que de s’évader. » Sur ce sujet et les contradictions qu’il a entraînées, cf. également David Rousset, L’univers concentrationnaire (Paris : Les Éditions de Minuit, 1965), 113.↩
Jeannin-Garreau, Ombre parmi les ombres, 58.↩
Maurice Mazaleyrat,Flossenburg : Arbeit macht frei (Brive, Imp. Chastrusse, 1987), 9. Le texte a été écrit en 1968, cf. Mazaleyrat, Flossenburg, 94.↩
Schrade, Le Vétéran, 180.↩
Cf. Christoph Classen, « Der Zeitzeuge als Artefakt der Medienkonsumgesellschaft. Zum Verhältnis von Medialisierung und Erinnerungskultur », dans Die Geburt des Zeitzeugen nach 1945, dir. par Martin Sabrow et Norbert Frei (Göttingen : Wallstein, 2012), 300–319.↩
Pour ce qui est de la problématique du témoignage, cf. par ex. Burkhard Liebsch, Vom Anderen her : Erinnern und Überleben (Freiburg i. Brsg. : Karl Alber, 1997), Mona Körte, « Erinnerungsliteratur », dans Terror und Kunst : Zeugnis, Überlebenshilfe, Rekonstruktion und Denkmal, dir. par Wolfgang Benz et Barbara Distel (Dachau : Dachauer Hefte, 2002), 23–33 ; Mona Körte, « Zeugnisliteratur : autobiographische Berichte aus den Konzentrationslagern », dans Der Ort des Terrors : Geschichte der nationalsozialistischen Konzentrationslager, Bd. 1 : Die Organisation des Terrors, dir. par Wolfgang Benz (München : Beck, 2005), 329–344 ; Pascaline Lefort, Les écritures de la mémoire des camps : un nouveau langage ? Etude pragmatico-discursive de récits de survivants (Reims : EPURE, 2012).↩
Cf. à ce sujet par ex. van den Berghe, « Introduction », XI et XLVIII ; pour la genèse de Flossenburg cf. ibid., LVIII ; cf. également Calembert, Flossenburg, 56, note 43. Au sujet du témoin et du témoignage au XXe siècle, cf. Isabella von Treskow (avec la collaboration de H. Duppel), « Zeuge/Zeitzeuge », dans Metzler Lexikon moderner Mythen, dir. par Stephanie Wodianka et Juliane Ebert (Stuttgart – Weimar : Metzler, 2014), 395–398 ; Sybille Krämer, « Zum Paradoxon von Zeugenschaft im Spannungsfeld von Personalität und Depersonalisierung : ein Kommentar über Authentizität in fünf Thesen », dans Renaissance der Authentizität ? Über die neue Sehnsucht nach dem Ursprünglichen, dir. par Michael Rössner et Heidemarie Uhl (Bielefeld : transcript, 2012), 15–26.↩
Ruth Amossy, « L’Espèce humaine de Robert Antelme ou les modalités argumentatives du discours testimonial », Semen : revues de sémio-linguistique des textes et discours, http~://semen.revues.org/2362 [4 juillet 2015].↩
Philippe Mesnard, Témoignage en résistance (Paris : Éditions Stock, 2007), 9.↩
Cf. Philippe Lejeune, Le pacte autobiographique (Paris : Editions du Seuil, [1976] 1996), 44. Pour ce qui est de la coopération de l’auteur et du lecteur et du discours intersubjectif, cf. également Silke Segler-Meßner, Archive der Erinnerung : literarische Zeugnisse des Überlebens nach der Shoah in Frankreich (Köln – Weimar – Wien : Böhlau, 2005).↩
Cf. Segler-Meßner, Archive der Erinnerung, 6 : « […] le discours du témoin témoigne de la présence d’un traumatisme aussi bien collectif qu’individuel […] » ; elle ajoute qu’il « sert à révéler des faits et événements historiques qui sont constitutifs de la mémoire publique, et il s’assimile à une appropriation personnelle [du passé] constituée par le sujet de l’énonciation dans l’énonciation. » [trad. I.v.T.]↩
Jean-Louis Kupper, « Notice biographique, notice relative au manuscrit de Léon Calembert », dans Au camp de Flossenbürg : témoignage de Léon Calembert, éd. par Gie van den Berghe (Bruxelles – Brussel : Palais des Académies – Paleis der Academiën, 1995), [LIII]–LXI, LX.↩
Cf. par ex. James E. Young, Writing and Rewriting the Holocaust : Narratives and the Consequences of Interpretation (Bloomington : Indiana University Press, 1998) ; Kuon, L’écriture des revenants ; Catherine Coquio, La littérature en suspens : écritures de la Shoah. Le témoignage et les œuvres (Paris : L’Arachnéen, 2015).↩
Segler-Meßner, Archive der Erinnerung, 24.↩
Cf. Leon Weintraub, conférence prononcée lors du colloque Widerstand im Konzentrationslager, organisé par Hartmut Duppel et David Urschler, Regensburg, 7–8 juillet 2015 ; www.uni-regensburg.de/sprache-literatur-kultur/romanistik/medien/flyer_tagung_podiumsdiskussion_1.pdf ; www.uni-regensburg.de/sprache-literatur-kultur/romanistik/literaturwissenschaft/mitarbeitende-von-treskow/hartmut-duppel/index.html.↩
Roger Boulanger, Un fétu de paille dans les bourrasques de l’Histoire : les tribulations d’un jeune Lorrain pendant la Seconde Guerre mondiale (Metz : Editions Serpenoise, 2007), 99.↩
Cf. là encore Kupper, « Notice biographique », LX.↩
Cf. Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire (Paris : F. Alcan, 1925).↩
Lucien Febvre, « Examen de conscience d’une histoire et d’un historien » (Leçon d’ouverture au Collège de France, 13 décembre 1933), dans : Lucien Febvre, Combats pour l’Histoire (Paris : Armand Colin, 1992), 3–17, 13, en italiques dans l’original.↩
Febvre, « Examen de conscience », 13, en italiques dans l’original.↩
Febvre, « Examen de conscience », 13.↩
Febvre, « Examen de conscience », 15 : « Soyons sans illusion. L’homme ne se souvient pas du passé ; il le reconstruit toujours. L’homme isolé, cette abstraction. L’homme en groupe, cette réalité. Il ne conserve pas le passé dans sa mémoire, comme les glaces du Nord conservent frigorifiés les mammouths millénaires. Il part du présent – et c’est à travers lui, toujours, qu’il connaît, qu’il interprète le passé. »↩
Ruth Amossy constate le même processus dans L’Espèce humaine de Robert Antelme (cf. « “L’Espèce humaine” de Robert Antelme ».↩
Pour les récits insérés, cf. Calembert, Flossenburg, 55–61.↩
La discussion sur l’indicible et l’irreprésentable est menée depuis la libération des camps. La problématique de la représentation de l’inconcevable doit par ailleurs respecter la diversité des expériences, entre autres celle de la déportation politique et celle du génocide. La littérature secondaire étant très vaste sur le sujet, nous nous contentons ici de quelques références bibliographiques : van den Berghe, « Introduction », XXXIII ; Yves Ménager, « La poésie des camps : du témoignage à l’indicible », dans La France de 1945 : résistances – retours – renaissances, dir. par Christiane Franck (Caen : Presses Universitaires de Caen, 1996), 221–233 ; Jacques Rancière, « S’il y a de l’irreprésentable », dans L’Art et la mémoire des camps : représenter, exterminer, dir. par Jean-Luc Nancy, Le genre humain 36 (Paris : Le Seuil, 2001), 81–102 ; Luba Jurgenson, L’expérience concentrationnaire est-elle indicible ? (Monaco : Éditions du Rocher, 2003) ; Monika Neuhofer, « Ecrire un seul livre sans cesse renouvelé » : Jorge Semprúns literarische Auseinandersetzung mit Buchenwald (Frankfurt a.M. : Vittorio Klostermann, 2006) ; Peter Kuon, « L’écriture du trauma dans les récits de déportation de survivants du camp de concentration de Mauthausen », dans Trauma et texte, dir. par Peter Kuon (Frankfurt a.M. : Peter Lang, 2008), 223–239 ; Sabine Schneider (dir.), Die Grenzen des Sagbaren in der Literatur des 20. Jahrhunderts (Würzburg : Königshausen und Neumann, 2010) ; Kuon, L’écriture des revenants.↩
L’attitude de nombreux gardiens devenait de plus en plus brutale au fil du temps, cf. par ex. Boulanger, Un fétu de paille, 124 : « Notre liberté de manœuvre était très étroite. Nous étions entourés de « concentrationnaires » qui avaient épousé la morale de l’oppresseur S.S. et se soumettaient volontiers à ses exigences. Ils exploitaient brutalement les plus faibles. » Cf. également Calembert, Flossenburg, 52, et Schrade, Vétéran.↩
Beschet, Mission en Thuringe, 181–182.↩
Beschet, Mission en Thuringe, 182.↩
Beschet, Mission en Thuringe, 182.↩
On ne peut pas aborder ici la problématique de l’étrangéisation dans le contexte de la réalité vécue et de la littérature mémorielle, mais on signalera les travaux de Frosa Pejoska-Bouchereau, par ex. « Littérature et génocide : l’écriture testimoniale des enfants », dans Yod 19 (2014), mis en ligne le 16 avril 2014, http~://yod.revues.org/1965 ; DOI : 10.4000/yod.1965 [consulté le 18 juillet 2015]. Cf. de manière plus générale Marianne Massin, Expérience esthétique et art contemporain (Rennes : Presses universitaires, 2013).↩
Coquempot, Dites adieu à votre fils, 161.↩
Jeannin Garreau, Ombres parmi les ombres, 58.↩
Sur les implications de la normalisation par l’écriture, cf. Isabella v. Treskow, Judenverfolgung in Italien (1938–1945) in Romanen von Marta Ottolenghi Minerbi, Giorgio Bassani, Francesco Burdin und Elsa Morante : Fakten, Fiktion, Projektion (Wiesbaden : O. Harrassowitz, 2013), chap. 2.↩
Jeannin Garreau, Ombre parmi les ombres, [5].↩
Kuon, L’écriture des revenants, 24.↩
Voici le sommaire de Flossenburg : 1. [sans titre, généralités], 2. Comment on vivait (p. 33), 3. Comment on mourait (p. 55), 4. Conditions d’hospitalisation et baraques spéciales (p. 65). 5. Les Kommandos – Dresde – Leitmerice (p. 69).↩
Sur le rapport entre Flossenburg et le statut de témoin oculaire, cf. van den Berghe, « Introduction », XXXV.↩
Je remercie Christa Schikorra, directrice du service pédagogique du Mémorial de Flossenbürg, et Leon Weintraub, Stockholm, pour les indications et les informations à ce sujet. Au sujet de la restriction du champ de vision dans les récits et de l’idée actuelle des camps de concentration comme lieux en dehors de la société, cf. également Isabella von Treskow, « Das Konzentrationslager – das ganz Andere ? », Blick in die Wissenschaft 24, n° 31 (2015) : 41–45.↩
Cf. Jean Cayrol, Lazare parmi nous (Neuchâtel : La Baconnière, Paris : Seuil, 1950).↩
Coquempot, Dites adieu à votre fils, 191. Cf. aussi Jeannin Garreau, Ombre parmi les ombres, 59 : « J’ai la joie brève d’apercevoir au loin un clocher à bulbe : c’est beau. C’est comme un rappel qu’au-delà de la triste condition humaine, il y a le Ciel. » Sur la référence à la vie au-delà du camp dans les textes des camps de concentration, cf. également Hartmut Duppel, « Lointains sont les horizons dorés / Où l’enfant joue à la balle (C. Pineau) : l’emploi de l’image enfantine dans les témoignages clandestins du camp de Buchenwald (1942–45) », dans Génocide, enfance et adolescence dans la littérature, le dessin et au cinéma, dir. par Silke Segler-Meßner et Isabella von Treskow (Frankfurt a.M. : Peter Lang, 2014), 77–97.↩
Cf. Lucienne Laurentie, Ô terre de détresse : chant des prisonniers (Wolfville : Les Editions du Grand Pré, 1992).↩
Boulanger, Un fétu de paille, 100. Cf. aussi Odette Spingarn, J’ai sauté du train.↩
Rudolf Kalmar, Zeit ohne Gnade, éd., notes et postface de Stefan Maurer et Martin Wedl (Wien : Metroverlag, 2009), 103. [trad. Emmanuel Faure.]↩
Cf. le nombre de livres et écrits concernant Robert Desnos.↩
Cf. Alain Parrau, Ecrire les camps (Paris : Belin, 1995), 299–302 ; Bénédicte Louvat, « “L’expérimental et l’exemplaire” : étude d’une séquence de l’Espèce humaine », dans Les camps et la littérature : une littérature du XXe siècle, dir. par Daniel Dobbels (Poitiers : La licorne, 2000), 183–193.↩
Calembert, Flossenburg, 8–11.↩
Cf. Segler-Meßner, Archive der Erinnerung, 25–26.↩
Cf. à ce propos les remarques de Young, Writing and Rewriting, 15–39. – Il n’y a pas d’autre solution, comme le dit Hans-Peter Klausch, pour obtenir des informations, que de recourir à la littérature autobiographique. Klausch se réfère aux témoignages oraux, mais cela vaut aussi pour les écrits, cf. Hans-Peter Klausch, Widerstand in Flossenbürg : zum antifaschistischen Widerstandskampf der deutschen, österreichischen und sowjetischen Kommunisten im Konzentrationslager Flossenbürg 1940–1945 (Oldenburg : Bibliotheks- und Informationssystem, 1990), 8.↩
Cf. Louvat, « “L’expérimental et l’exemplaire” : étude d’une séquence de l’Espèce humaine », 183.↩
Cf. Boulanger, Un fétu de paille, 119 : « Survivre était avant tout une affaire de chance. » Mais une fois cette phrase replacée dans son contexte, on y retrouve tout à fait l’argument de Dayan Rosenman, l’occultation des aptitudes personnelles, même si Boulanger présente quelques « tuyaux de survie ».↩
Anny Dayan Rosenman, Les Alphabets de la Shoah : survivre, témoigner, écrire (Paris : CNRS Editions, 2007), 13.↩
Cf. les explications que donne Spingarn de son silence et de son récit tardif dans J’ai sauté du train.↩
Cf. par ex. le film Les 7 portes de Shelomo Selinger.↩
Louis Poutrain, La déportation au cœur d’une vie (Paris : Les Éditions du Cerf, 1982), 123–124, en italiques dans l’original.↩
Cf. Liebsch, Vom Anderen her, 193.↩
C’est à peu près l’énumération que donne Lawrence Langer pour la littérature sur la Shoah, cf. « Interpreting Survivor Testimony », dans Writing and the Holocaust, dir. par Berel Lang (New York – London : Holmes & Meier, 1988), 26–40.↩
Frania Eisenbach Haverland/Dany Boimare, Tant que je vivrai : Tarnów, Plaszów, Birkenau et autres lieux (Paris : Editions Edité, 2011 [2007]) ; Alicia Nitecki et Jack Terry, Jakub’s World. A Boy’s Story of Loss and Survival in the Holocaust (New York : State University, 2005) ; cf. également Jean Menez et Daniel Moysan, Mémoires de captivité 1943–1945 : récit (Paris : Thélès, 2007). Pour ce genre nouveau, cf. par ailleurs Ida Grinspan et Bertrand Poirot-Delpech, J’ai pas pleuré (Paris : Editions Robert Laffont, 2002) ; Marcel Letertre et Patrick Simon-Letertre, Notes de déportation (Bièvres : Association Marcel & Geneviève Letertre, 2005), Bezard Cano, Ma vie vous appartient, Alain Quillévéré, Mémoire retrouvée d’un jeune Patriote : Alfred Bihan. Landébaëron – Flossenbürg 1917–1945 (Morlaix : Editions Skol Vreizh, 2008).↩
François Kirrmann, « Préface », dans Henri Margraff, Le serment de Kirrmann, 5–6, 6.↩
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